Introduction

Excellence et impertinence : ce sont les valeurs qui priment chez Presans. 

  • L’excellence : Presans met fortement l’accent sur la science, l’industrie et la technologie, ainsi que sur l’expertise pour délivrer de la valeur.
  • L’impertinence : Presans porte toujours un regard neuf sur les problèmes et n’hésite pas à bousculer les consensus établis.

Où trouve-t-on ces deux valeurs dans la décennie qui vient de s’écouler ? Nous avons voulu poser la question autour de nous. Mais aussi, bien évidemment, nous la poser à nous-mêmes. Voici comment, pour ma part, j’y répondrais, en partant du fait que la transformation digitale a joué un rôle majeur pendant cette période. Je vois plus dans cette transformation qu’une simple irruption des moyens informatiques BtoB dans la sphère BtoC. L’excellence et l’impertinence des années 2010, je les vois en fait dans les disruptions apportées par Internet. Par ailleurs, le potentiel de disruptions issues d’Internet me semble loin d’être épuisé.

Avant de me lancer dans cette discussion, je voudrais préciser que par Internet, j’entends bien le réseau de télécommunication issu d’ARPANET, ainsi que ses applications email, web, chat, partage de fichier, etc. que tous connaissent. Je m’intéresserai ici aussi à diverses extensions ou développements possibles d’Internet, en m’appuyant notamment sur une fiche publiée sur open-organization.com, sans prétendre épuiser la question.

 

Une excellente découverte

Commençons par les disruptions opérées pendant la décennie qui vient de s’écouler. L’une d’entre elles trouve son origine dans l’immense succès des réseaux sociaux apparus vers le milieu des années 2000. Parmi eux, Twitter en particulier se prête bien à la découverte de nouveautés intéressantes. C’est un réseau au moins autant thématique que social. Et c’est en tout cas par lui que, vers la fin de l’année 2009, je découvre l’existence de Presans. Ce qui n’est guère surprenant : les entrepreneurs, a fortiori si leur projets touchent à l’innovation ouverte, ont tout intérêt à se faire découvrir. Par conséquent, ils raffolent des réseaux sociaux1.

Ce que le fondateur de Presans, Albert Meige, va rapidement comprendre, et expliquer dans l’un des premiers articles de ce blog, c’est que du point de vue de la question des réseaux sociaux, les chercheurs ne fonctionnent cependant pas du tout comme les entrepreneurs. Les premiers créent les briques technologiques que les entrepreneurs combinent2.

Bâtir un réseau social de chercheurs pour favoriser l’innovation ouverte n’a rien d’évident compte tenu du faible intérêt des chercheurs pour un tel réseau. Or, ce qui importe à Presans, ce sont tout particulièrement les experts scientifiques, technologiques et industriels. Ce qui sera construit ne sera pas un réseau social, mais bien une plateforme de données permettant d’identifier des profils d’experts.

Plus tard, cette idée sera généralisée à travers une analyse plus fine du champ que recouvre la notion de talent à la demande, l’une des cinq composantes d’une organisation ouverte. Ce n’est qu’au fil des projets réalisés qu’une plateforme d’expertise complexe telle que Presans peut se constituer en réseau social d’experts, comme avec les Fellows Presans.

 

L’impertinence politique des réseaux

Changeons de registre, parlons de politique. Vers le milieu de la décennie passée, Presans a commencé à rassembler la communauté de l’innovation industrielle autour de nouvelles interrogations liées aux interactions entre transformation digitale et société, comprise dans l’ensemble de ses facettes : économique, artistique, politique. Sur le terrain politique, les réseaux sociaux se montrent particulièrement disruptifs, et ce dès la fin des années 2000 avec la campagne présidentielle innovante d’Obama. Puis survient le Printemps arabe, dans une atmosphère enthousiaste, du moins au départ. Avec l’élection de Donald Trump, l’atmosphère se charge de méfiance et le soupçon. Tout près de nous, Facebook n’a pas peu contribué à l’émergence du mouvement des “Gilets Jaunes” en France. Difficile question de savoir si les réseaux sociaux constituent aujourd’hui un auxiliaire précieux de la société ouverte et démocratique, ou, au contraire, une extension du domaine du piratage.

Dans la perspective de la clé de lecture de l’organisation ouverte, développée par Presans, le problème consiste au fond à conserver au sein du système un droit à l’impertinence, parfois salutaire. Et c’est au fond la même logique qui correspond aux inquiétudes suscitées par le développement de l’intelligence artificielle, notamment à travers ses applications utilisant les données produites par les réseaux sociaux : prenons garde à ne pas détruire tout principe de liberté au sein du système. Notons dans le même ordre d’idées que les années 2010 ont également fait apparaître encore une autre face sombre des réseaux sociaux : certains de ces réseaux ne travaillent-ils pas avec des agences du renseignement, comme le suggèrent notamment les dossiers transmis à la presse par Edward Snowden ?

Dans le cadre de ce billet, je vais laisser de côté l’articulation rigoureuse de ces différents phénomènes et me contenter de poser de façon cavalière que face à ces multiples risques de dérive, deux types de réponse sont possible, qui peuvent être combinés ensemble : d’une part toutes les approches qui visent à opérer une décentralisation, ou plutôt une re-décentralisation d’Internet et de ses applications. D’autre part, tous les efforts de réappropriation d’Internet et de ses applications par des acteurs étatiques.

 

Re-décentraliser

L’internet a été conçu au départ comme un réseau décentralisé, mais son succès auprès du grand public repose sur une centralisation autour d’un nombre réduit de grands ordinateurs. Une telle configuration engendre des économies d’échelle et donc des activités économiquement rentables, mais entraîne aussi une dépendance des utilisateurs envers ces ordinateurs centraux. Cette dépendance est peu conforme à l’esprit de liberté qui anime un grand nombre d’acteurs de l’Internet. Notre fiche technologique sur l’Internet décentralisé évoque les approches actuelles visant à réduire cette dépendance. La quête d’immutabilité sous-jacente à toutes ces approches, dont bitcoin est la plus fameuse, peut être interprétée comme le projet d’une forme radicale d’impertinence. Elle tire une partie de son dynamisme du désir de contribuer à l’établissement d’une infrastructure monétaire stable post-crise de 2008. Mais, de manière plus large, la motivation profonde de ces projets relève de la volonté de s’affranchir des lourdeurs du cadre institutionnel existant. La motivation profonde, c’est l’exit du système par l’accélération technologique, notamment vers des horizons transhumains, ou, pourquoi pas, martiens.

 

Vers les réseaux sociaux souverains

La souveraineté étatique préexiste à Internet et aux réseaux sociaux. Les états s’interrogent en voyant leurs citoyens, c’est-à-dire : leurs abonnés, s’abonner aux killer apps des plateformes algocratiques. Pour ceux que cette terminologie absconse pourrait dégoûter, je parle bien des services proposés par les titans de l’informatique que sont les GAFAM3 et autres BATX4.

Comment mieux imposer ces activités ? Faut-il carrément défaire les grandes plateformes, devenues trop dominantes ? Ou au contraire agir pour favoriser l’émergence de plateformes équivalentes, mais constituées en communs, plus conformes à l’intérêt général ?

La souveraineté dans le domaine digital se trouve en particulier au coeur des réflexions d’Emmanuel Chiva à propos de l’avenir des technologies militaires, formulées lors de l’événement DYSTOPIA 2019. A quoi ces réseaux du futur ressembleront-ils ? Seront-il encore basés sur Internet tel que nous le connaissons ? Sur quelles infrastructures technologiques reposeront-ils ? 

Dans un contexte de retour à la compétition entre grandes puissances amorcé depuis 2014, il est intéressant de noter que la Russie annonce désormais disposer d’un réseau de type Internet capable de fonctionner en autarcie. Du côté chinois, un avantage stratégique pourrait découler de l’avance prise dans les infrastructures de télécommunications de nouvelle génération (5G), ainsi que dans la construction d’ordinateur quantiques, permettant d’utiliser un cryptage / décryptage de niveau supérieur. L’ordinateur quantique pourrait en particulier lever l’inviolabilité des transactions des crypto-monnaies existantes, portant un coup au projet de construire des institutions, monétaires ou autres, fonctionnant sans faire appel à la confiance. L’Europe est-elle préparée à relever ces défis ?

Notons que l’avenir de l’infrastructure d’Internet comprend une forte augmentation du nombre de satellites en orbite autour de la Terre, notamment sous la forme de constellations de petits satellites. Et tout cela est amené à évoluer dans un environnement spatial lui aussi potentiellement exposé aux interventions militaires.

 

Conclusion : de la rétrospective à la prospective

L’Internet des années 2020 sera-t-il lui aussi un facteur d’excellence et d’impertinence dans nos vies ? La killer app de l’Internet industriel émergera-t-elle lors des dix prochaines années ? Le cloud souverain européen émergera-t-il ? L’Internet sera-t-il plus centralisé ? Plus régulé ? Ou plus décentralisé ? Verrons-nous surgir l’individu souverain ? Difficile de le dire. Nous sommes si habitués à utiliser Internet de façon quotidienne que nous pourrions facilement oublier que le fonctionnement de ce système repose sur des infrastructures technologiques et des choix de société qui n’ont rien d’immuable. Mais qu’en pensent les stratèges de la technologie ? Envoyez-moi vos impressions : jacques.knight@presans.com

Notes

  1. Notamment de LinkedIn.
  2. Nous développons cette idée davantage ici.
  3. Facebook, Apple, Amazon, Google, Microsoft.
  4. Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi.