(Source: https://www.meige.net/projects-2019)

 

Introduction

Un tendance nette de la décennie qui vient de s’écouler est le succès et la prolifération des événements1 organisés et moins organisés. Pour les premiers, je pense au succès de TED et TEDx2, amorcé dans la seconde moitié des années 2000. Pour les seconds, j’ai notamment à l’esprit les rassemblements-éclairs. Dans les deux cas, cette tendance semble liée à la transformation digitale, qui permet à TED de mettre ses vidéos en ligne, et aux foules de se donner rendez-vous via Facebook. Mais cette explication semble un peu courte. Le digital n’est-il pas d’abord un moyen d’affranchir les interactions humaines des contraintes de l’espace physique ? De pouvoir justement agir sans devoir pour cela rassembler physiquement ? Si tel était le cas, pourquoi n’observons-nous pas plutôt une baisse de l’activité de la filière de l’événementiel ?

Cet article propose un élément général d’explication du lien entre la croissance de l’événementiel et la transformation digitale. Il applique ensuite cet élément à l’expérience de la plateforme de consulting scientifique et technologique Presans. Car l’aventure de Presans depuis dix ans comporte aussi plusieurs incursions dans le monde de l’événementiel. Or l’existence de telles incursions ne va, a priori,  pas de soi. Nous suggérons que la concentration locale élevée de tamias cognitifs3 est un facteur causal dans la trajectoire menant des Raouts Presans à l’éclosion de DYSTOPIA en 2019.

 

Pourquoi ne pas juste regarder le match à la TV ?

Les progrès en matière de télécommunications permettent d’interagir à distance, y compris dans de nouveaux espaces virtuels. Le cas des jeux en ligne illustrent bien ce point. Et pourtant ces mêmes jeux en ligne sont à l’origine de tournois rassemblant de vastes foules dans un même espace physique. Cela peut sembler étonnant. Mais il n’y a pas besoin de faire intervenir la transformation digitale pour poser ce genre de question : pourquoi, par exemple, aller à un concert, quand on peut écouter la même musique dans de meilleures conditions techniques chez soi ? De même, pourquoi se rendre à un stade pour suivre un match sportif, plutôt que de le suivre à la télévision ? Les réponses à ces questions touchent toutes à un même facteur, qui n’est autre que l’attrait exercé par le rassemblement physique en lui-même, dans certaines conditions étudiées par les sociologues. Posons de manière cavalière que cet attrait réside en dernière analyse dans la probabilité d’une effervescence collective. Pour les besoins de ce billet4, nous nous contenterons de faire l’hypothèse (H) qu’une telle préférence existe et se manifeste à la fois dans les cas que nous venons de mentionner, ainsi que dans tous les événements, et ce d’autant plus que l’événement est réussi.

Dans le cadre de cette hypothèse (H), la transformation digitale dote le secteur d’activité de l’événementiel d’outils plus fluides et efficients, permettant d’identifier et de rassembler des groupes à partir de thèmes et de dynamiques sociales toujours plus variés. Le désir d’événements ne diminue en aucune façon, en revanche il devient plus facile de créer des événements pour satisfaire ce désir.

 

Pourquoi ne pas rassembler des tamias cognitifs passés par l’industrie ?

Testons l’hypothèse (H) en examinant les origines du Raout Presans. Celles-ci se situent dans la période quasi-mythique de création du réseau des Fellows Presans. Rappelons qu’un Fellow Presans est un expert scientifique et technologique de type tamia cognitif. Au départ, le Raout Presans rassemble donc de manière assez informelle les Fellows et le reste de l’équipe Presans. Les interactions sont naturellement structurées par des rituels d’échange cognitif5. Ce sont ces rituels qui donnent de l’énergie positive aux participants de l’événement. C’est aussi dans cette perspective que des savants sont invités. Ils livrent des aperçus sur des questions scientifiques situées à la frontière des connaissances. Mais la tendance des Fellows à la polymathie se manifeste aussi par un intérêt pratique très significatif pour les arts, et en particulier pour le théâtre. Ce trait se conjugue avec les dons d’Albert Meige, fondateur de Presans, pour la magie, pour conférer une orientation spectaculaire et immersive aux versions ultérieures de l’événement.

 

Pourquoi ne pas aussi rassembler les décideurs de l’innovation industrielle ?

Vers le milieu de la décennie passée, Presans prend le pari de rassembler la communauté de l’innovation industrielle autour de nouvelles interrogations, liées notamment aux interactions entre transformation digitale et société, comprise dans l’ensemble de ses facettes : économique, artistique, politique…  Le Raout cesse d’être d’une retraite dans un cadre bucolique et finit même par s’installer dans une salle de cinéma du Centre Pompidou, à Paris. L’horizon des intervenants s’élargit et comporte : beaucoup d’industriels, un mentaliste, un financier, un directeur de grande école, un écrivain… De nouveaux partenaires se rallient à la vision d’un événement sortant des cadres, des agendas, et des finalités habituelles. Le Raout gagne en stature et en audace. 

Il faut effectivement une bonne dose d’audace pour lancer quelque chose de nouveau dans un domaine aussi concurrentiel. D’autant plus qu’il s’agit de ne pas en rester là. Un comité se constitue pour discuter de la prochaine étape. Les tamias cognitifs autour de Presans cherchent désormais un bon angle pour aborder la question de l’impact des nouvelles technologies sur la société…

 

Pourquoi ne pas rassembler celles et ceux que passionnent les futurs possibles du monde industriel ?

Les tamias cognitifs cherchent donc un angle. Ce sera celui de la dystopie. Il favorise la prise de recul, la liberté, l’imprévisibilité. Trop souvent en effet, les réflexions sur notre avenir technologique se limitent à un exercice de promotion de solutions dans le cadre d’agendas industriels convenus.

L’ambition de DYSTOPIA était tout autre :

DYSTOPIA, se veut l’événement tech alternatif de référence pour rompre en beauté avec les faux charmes de l’utopie et se déprendre d’un rapport naïf au nouvelles technologies, en faisant se croiser des regards issus des mondes industriel, académique, artistique et intellectuels.”

Rappelons que DYSTOPIA 2019 a été un grand succès

“Que ferons-nous des nouvelles technologies… que feront-elles de nous ? DYSTOPIA 2019 a réussi le pari de faire le plein d’énergie collective en posant cette question d’une manière à la fois spectaculaire, spéculative, empirique, personnelle, théâtrale, et musicale — en faisant de cette question un acte de liberté.”

 

Conclusion : 

DYSTOPIA représente, en somme, une expansion de territoire significative pour les tamias cognitifs et le chipmunk mindset.

La trajectoire qui aboutit à DYSTOPIA confirme bien notre hypothèse (H) : la transformation digitale, loin de conduire à une réduction en importance des événements, facilite au contraire la réalisation du besoin humain primordial qu’ils représentent. Notre examen des origines de DYSTOPIA suggère par ailleurs que la tournure d’esprit propre aux Fellows a joué un rôle à la fois dans le fait que Presans organise des événements, et dans l’évolution de ces événements. La concentration de tamias cognitifs autour de Presans semble bien être l’un des facteurs qui ont contribué à faire éclore DYSTOPIA.

Ce n’est cependant pas dans ce billet que nous donnerons la recette des effervescences de DYSTOPIA. Pour cela, il faudra en effet se tourner vers notre prochain white paper. 

Notes

  1. Dont le caractère essentiel réside dans le fait de rassembler physiquement un groupe dans un même lieu et dans un même temps. Il n’est pas du tout question dans ce billet d’événements au sens général, mais bien d’événements de rassemblement de groupes humains, ainsi que de la filière économique impliquée dans leur réalisation.
  2. Voici un exemple de conférence TEDx : 2033… Work will be replaced by transferring.
  3. En anglais : cognitive chipmunks. Se reporter au prochain whitepaper Presans : Experts create problems. Les experts de type tamia sont de grands connecteurs de domaines et tendent vers la polymathie. NB : le hérisson qui illustre l’article est spirituellement un tamia.
  4. Randall Collins est le sociologue en pointe sur ce sujet. Il conjecture que les progrès technologiques ne finiront pas par éliminer le besoin de se rassembler.
  5. En anglais: give and take rituals.