Introduction

La question fondamentale qui nous intéresse sur open-organization.com est au fond toujours la même : les technologies qui composent l’agenda global de l’innovation industrielle sont-elles les meilleures technologies ? Question difficile dont la réponse suppose de savoir comment une technologie est mise à l’agenda, et pourquoi une technologie est optimale. Mais question néanmoins incontournable pour les acteurs de l’innovation industrielle.

L’un des thèmes technologiques qui figure en bonne place sur l’agenda global de l’innovation industrielle en ce début d’été 2020 est l’impression 3D. Le terme regroupe tout un ensemble de procédés de fabrication additive ayant en commun d’être pilotés selon un plan numérisé sous forme de fichier informatique. Nous allons dans cet article examiner pourquoi l’impression 3D est actuellement un sujet majeur pour l’innovation industrielle. D’abord nous rappellerons quelques étapes de l’histoire récente de cette technologie ; ensuite nous indiquerons quelques bases concernant sa nature et ses ramifications ; enfin nous scruterons, dans un troisième temps, les signaux actuels permettant d’anticiper ses développements futurs.

 

Que s’est-il passé avec l’impression 3D à partir de 2013, et pourquoi ?

Impression 3D - Google Trends

Source 

Comme le suggère le graphique Google Trends ci-dessus, l’impression 3D a commencé à occuper une place accrue au sein de l’agenda technologique global au cours des années 2010, avec une forte croissance de l’intérêt public pour ce thème en 2013. Ce buzz résulte en large partie d’un discours important de Barack Obama.

Pourquoi ce discours ? D’une part parce que déjà à l’époque, la relocalisation des activités industrielles est un thème politique majeur aux USA, suite à la crise financière de 2008. Cette crise a en effet ravagé certaines régions industrielles, précipitant des segments entiers de la population dans la détresse (la suite est connue). L’impression 3D fait partie des technologies qui autorisent alors un espoir de retour de l’activité.

D’autre part, le développement du marché des imprimantes 3D pour particuliers était bloqué jusqu’à la fin des années 2000 par un brevet détenu par Stratasys (US patent 5121329). Stratasys est en effet un acteur pionnier de l’impression 3D uniquement actif sur le marché professionnel, dont le modèle économique n’est pas transposable au marché des imprimantes personnelles. Mais en 2009, le brevet de Stratasys tombe dans le domaine public, et la voie est ouverte.

Un facteur qui contribue à l’enthousiasme du début des années 2010 autour de l’impression 3D est son potentiel de décentralisation des activités productives, suggérant même à certains les contours d’une “Amérique 3.0”. L’impression 3D fait aussi parler d’elle aux USA parce qu’elle permet d’imprimer des armes à feu. Dans l’ensemble, une petite élite d’utilisateurs pionniers se forme autour des imprimantes 3D… dont notre Fellow Philippe Perrier, qui intervient aussi dans le webinaire WAR #1). Mais au niveau BtoC, les choses se calment dans l’ensemble assez rapidement. L’action va se passer ailleurs, dans les usages professionnels et industriels.

L’impression 3D constitue rapidement une part intégrante de l’agenda de l’industrie 4.0, qui lui-même s’inscrit dans deux cadres narratifs majeurs : la transformation digitale, accélérant ou non vers une Singularité (utopique ou dystopique), et la transition écologique, parvenant à diminuer ou non les risques environnementaux. Depuis 2014, le monde de l’impression 3D se réunit à Francfort lors du salon FormNext, dont la taille augmente régulièrement. L’impression 3D trace ainsi son chemin à coup de prouesses et d’annonces, dans une grande variété de secteurs : 

  • L’ingénierie tissulaire permet de réaliser des peaux artificielles utilisables pour effectuer des tests, en particulier dans l’industrie cosmétique ;
  • Prothèses, implants, organes bio-imprimés… les applications médicales de l’impression 3D révolutionnent de nombreux métiers de la santé.
  • Dans le domaine de l’alimentation, l’impression 3D fait partie des pistes pour texturer la viande sans viande ; une technique à distinguer de la culture de viande in vitro… à moins qu’il ne faille catégoriser cette dernière dans la catégorie de la bio-impression, voire de l’auto-assemblage (mais dans tous les cas on est dans le très long terme) ;
  • Aérospatial : production de pièces à forme complexe ; à l’état de projet  : impression 3D de bases lunaires ; 
  • Automobile : prototypage rapide ; production d’outils ; production de moules ; pièces à forme complexe ; pièces détachées ; à l’état de projet : pneus rechargeables.
  • Nucléaire : l’impression 3D peut apporter des gains de performance à l’industrie du nucléaire, notamment dans la certification des pièces ; à l’état de projet : impression 3D de centrales nucléaires ;
  • Résilience industrielle : l’impression 3D a tout récemment joué un rôle majeur dans la réaction des acteurs industrielle à la crise sanitaire de la covid-19, cf. nos récents webinaires We Are Resilient : 1 & 3.

Cette liste est loin d’être exhaustive, mais elle donne une idée de la variété impressionnante de secteurs impactés et suggère que le marché de l’impression 3D pourrait demain s’étendre au-delà de ses niches technologiques actuelles. Pour devenir une technologie à usage général, génératrice de nouvelles innovations, l’impression 3D doit cependant encore faire l’objet d’investissements rentables à grande échelle. C’est l’un des enjeux de la période actuelle : associer de bons modèles économiques à cette technologie.

 

L’impression 3D, expliquée par Presans

Plusieurs groupes industriels ont demandé à Presans d’étudier comment l’impression 3D peut impacter leurs secteurs d’activité, conduisant open-organization.com a consacrer un bref article d’introduction à l’impression 3D. Notre Fellow en chef, Hervé Arribart, a de plus traité le sujet de manière plus approfondie dans le cadre de l’un de nos webinaires.

 

Guide du webinaire Presans sur l’impression 3D : 

Introduction

01:25 : Distinction entre impression 3D et fabrication additive ;
03:14 : la fabrication additive est une technologie habilitante (enabling technology, notion très voisine de celle de technologie à usage général) ;
04:12 : fabrication additive ancestrale vs. moderne ;
05:30 : objectifs de l’exposé : enjeux de la fabrication additive, facteurs d’adoption, facteurs limitant l’adoption.

 

Présentation de l’impression 3D

05:57 : Exemple de procédé : la fusion de lit de poudre ; le voxel ;
08:42 : les matériaux imprimables et leurs applications ;
12:57 : impression 3D et science des matériaux ;
14:56 : les 6 avantages de l’impression 3D ; la frontière économique entre fabrication additive et fabrication conventionnelle ;
18:30 : qui utilise la fabrication additive et pourquoi ?
21:43 : le moteur réalisé par Renault Trucks est une prouesse ;
22:16 : les formes complexes imprimables et impossibles à réaliser par fabrication conventionnelle ;
23:35 : la production d’objets personnalisés ;
24:42 : les pièces détachées ;
25:22 : répartition des usages en 2018 ; projection dans l’avenir selon les secteurs industriels ;
27:08 : les freins et les défis ;
29:40 : conclusions.

 

Les idées principales

L’usage industriel dominant est le prototypage. Quasiment tous les bureaux d’études, fablabs et écoles d’ingénieur disposent d’imprimantes 3D.

La fabrication par impression 3D de métaux est intéressante dans le cas de formes complexes et/ou en petite série. En revanche, pour les objets en polymère, la fabrication conventionnelle par injection plastique est généralement préférable.

 

Evolution depuis 2018

Hervé nous informe que l’impression 3D de céramiques semble avoir réalisé des progrès depuis la date de réalisation du webinaire. Au-delà des céramiques, l’impression de métaux se transforme actuellement très rapidement, comme nous allons voir.

 

2020 et au-delà : Combiner coopération et compétition 

La fin des années 2010 a vu des acquisitions de spécialistes de l’impression 3D par des grands groupes industriels tels Michelin (AddUp), Xerox (Vader Systems), ou BASF (Sculpteo). Cette évolution nous signale que dans plusieurs secteurs industriels, l’impression 3D devient une composante de plus en plus cruciale des modèles économiques.

Dans le cas de Michelin, l’impression 3D est utilisée d’une part pour réaliser des moules de pneus. Cette application correspond parfaitement au cas où l’objet à réaliser possède une forme complexe. D’autre part, l’impression 3D est destinée à intervenir dans la recharge de pneus. Le modèle économique visé correspond très clairement à la dimension user centric & functional de la clé de lecture de l’organisation ouverte. Combinée notamment avec le recreusage, la recharge de pneus par impression 3D, permet de parfaire un modèle basé non pas sur la vente de pneus, mais sur la vente de de la fonction réalisée par le pneu : le km de pneu. 

Dans le cas de Xerox, la discussion portant sur le modèle économique est un grand classique pour tous les amateurs d’innovation ouverte et lecteurs d’Henry Chesbrough. Mais, au lieu de perdre la majeure partie du bénéfice de ses inventions, faute de disposer dans les années 1970 d’un modèle économique adapté (au profit de Steve Jobs et de Bill Gates), le Xerox des années 2020 intègre une offre d’impression 3D parce que cette technologie donne tous les signes de pouvoir s’intégrer dans son modèle économique existant. Un modèle où la vente d’imprimantes ne représente que 20% du revenu de l’entreprise, le gros de l’activité incluant les services contractuels, la maintenance et les consommables. Un point tout à fait remarquable concernant cette nouvelle offre est qu’elle inclut l’impression de métaux, et qu’elle se positionne sur la fabrication en série. Autre point à examiner de plus près : l’utilisation de métal liquide au lieu de poudres de métal. Cette avancée, si elle est confirmée, serait révolutionnaire. La technologie de métal liquide pourrait permettre à Xerox de mettre en place un modèle économique de plateforme… voire de devenir un branduit de l’impression 3D, après avoir longtemps tenu ce rang dans l’impression 2D.

Pour BASF, il s’agit de poursuivre sa stratégie de positionnement de partenaire de choix sur le marché des matériaux utilisés pour l’impression 3D. Logique pour un groupe de chimie industrielle.

La discussion autour des modèles économiques de l’impression conduit souvent à soulever des problèmes liés à la propriété intellectuelle, sur la base d’une analogie avec la transformation digitale qui a emporté l’ancienne industrie du disque musical. Notre impression est que cette dimension est cependant moins importante dans le contexte des usages industriels de l’impression 3D. Tant que les industriels parviendront à maintenir leur capacité à verrouiller l’accès à leurs données, les problèmes de propriété intellectuelle liés à l’impression 3D pourraient rester finalement assez limités.

En définitive, nous pensons que l’avenir proche de l’impression 3D sera déterminé par la capacité des écosystèmes à combiner judicieusement des logiques de coopération industrielle avec des stratégies compétitives gagnantes, basées sur des modèles économiques solides. Notre webinaire sur la mobilisation autour du masque Ocov fournit un cas remarquable d’articulation entre ces deux dimensions. 

 

Conclusion

Pourquoi l’impression 3D constitue-t-elle actuellement un sujet majeur pour l’innovation industrielle ? Parce qu’à force de prouesses, cette technologie est susceptible de bientôt devenir une nouvelle technologie d’usage général (ou habilitante), à condition de trouver des modèles économiques adaptés.

La clé de l’avenir de l’impression 3D réside dans sa capacité à habiliter à la fois de nouveaux usages et de nouveaux modèles économiques. Le rôle des acteurs industriels est d’explorer collectivement cette capacité d’habilitation. Presans organise dans cet esprit des Synergy Factories qui associent une pluralité d’entreprises autour de sujets combinant technologie, cas d’usages et modèles économiques. Après tout, pourquoi ne pas faire en sorte que le choix systémique d’une technologie optimale prenne en compte dès le départ ces facteurs décisifs, qui trop souvent sont traités comme des variables d’ajustement, ou comme des volets de politique industrielle ajoutés après coup dans un agenda sur-déterminé par des considérations d’une toute autre nature ?