Introduction

A travers les réponses qu’elle suscite dans différents pays, la pandémie de COVID-19 est un révélateur des forces et des faiblesses que le fonctionnement normal des systèmes socio-économiques tend à cacher.

Notre thèse est que pour l’Occident, il s’agit d’un nouveau moment Sputnik1. Pour comprendre ce moment, il faut : 

  1. Commencer par caractériser les différentes stratégies de réponse à la pandémie. 
  2. Établir ensuite pourquoi une mise à niveau du système sanitaire des pays occidentaux est indispensable.
  3. Examiner comment cette mise à niveau va être accomplie : quels acteurs, quelles modalités éthiques, quelles réponses scientifiques et technologiques.

 

1. Pourquoi la stratégie du Gangnam Style est la plus efficace face à COVID-19

1.1. Les trois différentes stratégies

COVID-19 se propage de manière exponentielle, ou plus précisément sous la forme d’une courbe en S (fonction sigmoïde).

Les stratégies suscitées par COVID-19 peuvent être classées en trois2 catégories :

  1. La maîtrise de l’épidémie (en anglais : containment) par la détection, le traçage des contacts, et le confinement ciblé (atteindre la condition R0 < 13 par confinement ciblé). Cette approche combine les moyens suivants, suivant leur disponibilité : 
    • détection par prise de température et tests de dépistage sur des échantillons ciblés mais aussi aléatoires de population ;
    • capacités de traçage de la population à risque à grande échelle, notamment au moyen de données fiables ;
    • quarantaines ciblées ;
    • soins d’urgence visant en particulier le maintien des capacités de respiration des patients ;
    • protection renforcée des personnels soignants en première ligne4 ;
    • traitements médicaux préventifs ;
    • traitements médicaux des pathologies causées par le virus ;
    • traitements médicaux ciblant directement le virus ;
    • vaccins.

  2. L’atténuation de la propagation (en anglais : mitigation) : ralentir l’épidémie en instaurant des distances, en utilisant des masques, en adoptant des gestes d’hygiène renforcée, et en limitant les mouvements venant de zones géographiques à risque. Tout cela ayant pour but d’éviter la saturation des capacités du système de soins5. Au lieu d’avoir la majorité des gens malades en même temps, étaler les contaminations dans le temps.

  3. La suppression de la propagation par des mesures de confinement de masse et de cordon sanitaire géographique (atteindre la condition R0 < 1 par confinement de masse). Cette stratégie est nécessaire lorsque le système de soins est saturé ou en voie de l’être.

La saturation du système de soins est généralement perçue comme le danger majeur posé par COVID-19. Ce point suscite des oppositions philosophiques entre acceptation de la finitude humaine et croyance dans le progrès. Partons néanmoins du principe généralement admis que le but est d’une part d’éviter la saturation du système de soins, et d’autre part de minimiser les dégâts subis par le système économique. Notons que le taux de mortalité du virus est non seulement lié au virus lui-même mais aussi à la capacité de prise en charge des patients.

La stratégie de maîtrise permet d’éviter la saturation et de mener une activité économique normale. La stratégie d’atténuation conduit notamment limiter les rassemblements, ce qui a un impact négatif sur des secteurs d’activité tels que l’événementiel et ralentit aussi d’autres secteurs. La stratégie de suppression a un impact négatif direct sur des activités de service telles que le tourisme ou la restauration. Les progrès des télécommunications réduisent en partie l’impact négatif sur le reste de l’économie. Mais celui-ci reste extrêmement négatif. 

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1.2. Comparaison entre les approches choisies par différents pays

Le foyer initial de la pandémie est la ville de Wuhan dans la province de Hubei en Chine. Après une période initiale qui semble commencer en décembre, Wuhan, puis d’autres villes et provinces ont été mises sous quarantaine (stratégie de suppression) en combinaison avec une stratégie de maîtrise et d’atténuation générale. Au total environ 760 M d’habitants ont étés soumis à des mesures draconiennes de confinement de masse. L’épidémie semble jugulée, au prix d’efforts héroïques.

La Corée du Sud n’a initialement pas adopté de mesures particulières. Mais ce pays ou plus de la moitié de la population n’a pas de religion et où le taux de suicide est très élevé a subi l’installation de plusieurs foyers de contamination, dont le vecteur résidait dans les rassemblements pendant le mois de février de la secte apocalyptique Shincheonji (Temple du Tabernacle de témoignage). Ce pays possède un système de santé en pointe et est rapidement parvenu à juguler l’épidémie par une stratégie de maîtrise, à coups de tests de dépistage massifs et de géolocalisation.

Aussi bien en Chine qu’en Corée du Sud, la mise au point et la production de tests de dépistage, ainsi que l’identification de candidats de traitements efficaces ont été rapides.

Le Japon a combiné une stratégie d’atténuation et de suppression partielle (fermeture des écoles). Le pays mise sur son mode de vie déjà très casanier à la base, mais aussi sur les fortes capacités de son système de soins en matières de lits et d’équipements disponibles.

Taiwan et Hong Kong ont mis en place avec succès des stratégies de maîtrise et se sont isolés des zones à risque.

L’Occident n’est pas parvenu à maintenir une stratégie de maîtrise, en raison d’un manque de traçage et de tests. Le passage à la grande échelle a été raté. En maintenant ses frontières ouvertes aux zones à risque, il a importé le virus en espérant préserver ainsi l’activité économique. La stratégie française, présentée dans ce document, est conforme à ce schéma général. Il est remarquable que nous ayons connu un épisode assez semblable à ce qu’il s’est passé en Corée du Sud. Le rassemblement religieux de plus de 2000 personnes à Mulhouse organisé par l’église de la Porte Ouverte du 17 au 24 février a sensiblement contribué à la forte diffusion du virus dans le Bas-Rhin et dans l’ensemble du Nord-Est de la France et au-delà. Cette évolution a contribué à mettre à mal la stratégie de maîtrise jusqu’ici adoptée.

Les pays occidentaux se sont ainsi condamnés à ne pouvoir disposer que des stratégies d’atténuation et de suppression. Le manque d’équipements a été accompagné des discours officiels trompeurs et sujets à revirements, notamment concernant les masques. Mention spéciale pour le Royaume-Uni, qui a déclaré mettre en oeuvre une stratégie d’immunisation de groupe, ce qui constitue davantage une performance sur le plan de la communication que sur le plan de la stratégie6.

Tous ces pays sont désormais pleinement mobilisés pour combattre la pandémie, mais ils vont aussi tirer les leçons à plus long terme de cet épisode.

 

1.3. La meilleure stratégie est celle de la Corée du Sud

La Corée du Sud est un pays développé et industrialisé de taille comparable aux grands pays européens ou aux états américains. Sa gestion de l’épidémie est exemplaire en termes d’efficacité et doit constituer un modèle pour les réformes et les innovations à mettre en oeuvre dans les pays occidentaux. C’est ce qui justifie d’ailleurs le titre de cet article, en référence à la chanson K-Pop interprétée par Psy qui fit danser la planète en 2012.

En effet, si nous considérons la possibilité de futures vagues de ce virus et de ses mutations, ainsi que l’apparition de nouveaux virus à l’avenir, la supériorité de la première stratégie, adoptée par la Corée du Sud, est éclatante. Il y a de bonnes raisons pour penser que les pays occidentaux vont réformer leurs systèmes sanitaires dans cette optique.

2. Pourquoi la mise à niveau sanitaire des pays occidentaux et de la France en particulier est indispensable

2.1. Garantir la compatibilité d’un système ouvert au reste du monde 

Les stratégies d’atténuation et surtout de suppression sont tout d’abord beaucoup trop destructrices pour le système économique. Il est préférable de pouvoir disposer de la stratégie de maîtrise à grande échelle tout simplement pour limiter les perturbations de l’activité économique.

L’économie française, et les économies occidentales en général, sont ouvertes au reste du monde et en particulier à l’Asie. La globalisation des chaînes productives et logistiques exige à elle seule une mise à niveau des systèmes sanitaires des pays occidentaux. Cet argument s’applique aussi aux activités liées au tourisme international et au secteur de l’événementiel, tous deux importants dans un pays comme la France.

Par ailleurs, cette crise montre qu’il est indispensable de procéder à une relocalisation industrielle des capacités essentielles de production de médicaments et d’équipements médicaux et sanitaires. Les différentes régions du monde doivent pouvoir se relayer en cas de pandémie exigeant des mises à l’arrêt du système productif.

 

2.2. Améliorer la gestion des épidémies en général

Pendant les semaines qui ont précédé la prise de conscience générale du risque épidémique, les chiffres de mortalité liés à la grippe ont souvent été évoqués. Sans entrer dans la discussion de ces chiffres, il est apparent qu’une mise à niveau du système sanitaire aura aussi un impact positif sur la gestion des épidémies en général, et notamment de grippe.

 

2.3. Le contexte de rivalité multipolaire fait de cette question un enjeu de prestige

Dans un contexte de rivalité technologique et commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, et de rivalité multipolaire généralisée, la course à la découverte de traitements et de vaccins, mais aussi la gestion de la crise de manière générale, constituent aussi un enjeu de prestige international. 

Le risque du déclassement de l’Occident est et sera cependant mal vécu par certains pays. Le temps n’a fait que confirmer nos conclusions7 concernant le potentiel d’innovation de la Chine : il est temps pour nous de remettre la priorité sur l’innovation technologique.

 

3. Comment cette mise à niveau va-t-elle s’accomplir ?

3.1. Quels acteurs ?

En France, nous assistons à une prise en main lourde des affaires de la nation par l’état, mais aussi à des initiatives privées telles que la production et de la mise à disposition de gels hydro-alcooliques par LVMH. Au niveau européen, la réponse commence à s’organiser après des débuts difficiles. Aux Etats-Unis, comme on pouvait s’y attendre, des personnages tels que Bill Gates et Elon Musk se sont emparés du sujet, ou commencent à s’en emparer, pendant que l’administration Trump cherche par tous les moyens à accélérer le développement et l’accès à des solutions.

 

3.2. Les modalités éthiques de la mise à niveau

La géolocalisation d’une épidémie implique un système de surveillance qui pose aussi des problèmes éthiques. Dans la ville technologiquement très avancée de Shenzhen en Chine, une application sur la plateforme WeChat permet de suivre en détail les déplacements de tous les habitants, permettant de cibler les individus à risque à mettre en auto-quarantaine. L’application repère les individus ayant partagé un espace avec des personnes contaminées. Le ralentissement de l’épidémie a entre-temps conduit à relâcher ces mesures.

Dans l’urgence, Israël s’est déjà engagé dans l’utilisation de la géolocalisation pour combattre l’épidémie. Les Etats-Unis semblent sur le point d’activer ce levier d’action.

L’urgence bouscule aussi les pratiques et les process dans les milieux scientifiques. Les réseaux sociaux ont facilité une discussion ouverte et en temps réel pour identifier les mécanismes d’action du virus et les facteurs favorisant l’épidémie. L’ouverture paye : le traitement proposé par le Professeur Raoult en France a été adopté en Chine et en Corée. Il reste en phase de test en France. Il s’agit d’un médicament peu coûteux déjà utilisé depuis des décennies contre la malaria.

Espérons que ce traitement très prometteur, à la fois pour soigner et comme protection contre le virus, s’avère efficace pour vaincre l’épidémie.

Cette crise ne signifie en tout cas pas qu’il faille transformer les pays démocratiques en pays autoritaires. La Corée du Sud est un pays démocratique. La situation actuelle constitue en réalité une opportunité pour mettre à l’agenda ce qu’Emmanuel Chiva nomme la question des réseaux sociaux souverains. 

 

3.3. La dimension scientifique et technologique de la mise à niveau

Sur le plan scientifique, la crise du COVID-19 stimule l’activité de nombreux domaines. Parmi ces domaines, signalons-en deux : 

  • La modélisation des épidémies : c’est toute la question de savoir où un pays se situe dans la propagation du virus, d’estimer la réalité de la situation à partir de données de plus ou moins bonne qualité. Ici encore, l’avantage de la stratégie adoptée par la Corée du Sud est manifeste : en pratiquant un dépistage à grande échelle, les décideurs disposent d’informations fiables pour orienter le combat contre l’épidémie. C’est loin d’être le cas dans les pays occidentaux, où les modèles s’appuient sur des données beaucoup plus hypothétiques.

  • Le génie génétique : la question de la nature artificielle ou non du COVID-19 se pose depuis le début.

Sur le plan technologique, la mise à jour du système sanitaire constitue en réalité un aspect de la transformation digitale du système économique. Nos systèmes socio-économiques doivent devenir plus intelligents.

La crise du COVID-19 doit aussi amener à s’interroger fondamentalement et plus largement sur les performances sanitaires des matériaux utilisés dans nos espaces de vie et de travail. Nous verrons peut-être une plus grande utilisation du cuivre, ou de matériaux émulant ses excellentes propriétés sanitaires, pour recouvrir des surfaces sensibles comme les poignées de portes, les boutons d’ascenseur, etc. Mais ce n’est qu’un exemple.

Les technologies de réalité virtuelle, de drones, d’automatisation, bref, l’industrie 4.0 vont encore monter en importance dans l’agenda industriel. De nouveaux comportements comme le port de masque pourraient engendrer une nouvelle industrie au carrefour de la protection sanitaire et de la protection et de l’expression de l’identité. Des leçons vont être apprises dans le domaine du travail à distance. Toute la question du degré optimal de concentration urbaine pourrait être reposée.

 

Conclusion

La vraie question que pose cette crise est au fond de savoir si ce moment Sputnik va susciter une volonté d’émulation, ou au contraire un ressentiment accompagné de déni quant à la réalité du déclassement occidental. Il nous paraît inconcevable pour l’Europe de ne pas relever ce défi en mettant son système sanitaire à niveau.

Les acteurs de l’innovation industrielle vont bientôt songer aux impacts et aux opportunités résultant de cette crise. Ils vont mettre au point les roadmaps technologiques du monde post COVID-19 : un monde où sera plus que jamais nécessaire une approche systémique à la fois fondée sur l’excellence et sur l’impertinence.

Face à l’accélération de l’histoire, ne cédons ni aux schémas idéologiques, ni aux visions d’apocalypse. Organisons notre ouverture en réinventant ce qui doit l’être et en gardant ce qui marche déjà.

  1. Un moment Sputnik est une prise de conscience soudaine d’un bond technologique, notamment sous la forme d’un retard vis-à-vis d’un tiers, en particulier d’un concurrent ou d’un rival. Tel fut le cas lors du lancement du satellite Sputnik par l’URSS en 1957, qui provoque alors une grande surprise du côté américain. J’évoque cet épisode marquant de l’histoire dans l’article La DARPA, le F-35 et le retour de la Russie, J. Knight, open-organization.com (2018).
  2. Ces trois stratégies correspondent aussi à des niveau de propagation de l’épidémie. Elles peuvent se succéder dans le temps et / ou être combinées selon les capacités du système sanitaire local.
  3. Le facteur R0 est le taux de reproduction de base de l’infection. Il correspond au nombre moyen de contaminations par sujet contaminé et cette moyenne dépend de plusieurs facteurs rappelés ici par David Louapre. R0 possède une signification toute relative, notamment en raison de l’existence de super-propagateurs. Ces derniers induisent des sauts d’échelle impossibles à maîtriser pour des pays non préparés.
  4. Le degré d’exposition semble constituer un facteur d’infection.
  5. Cette stratégie ne suppose pas les moyens de détection et de traçage nécessaires à la première stratégie. Les deux peuvent naturellement être combinées.
  6. Le gouvernement a ensuite révisé sa doctrine à la lumière de cette étude : https://www.imperial.ac.uk/media/imperial-college/medicine/sph/ide/gida-fellowships/Imperial-College-COVID19-NPI-modelling-16-03-2020.pdf
  7. Trump n’empêchera pas la Chine d’innover, J. Knight, open-organization.com (2018).