Quel est l’avenir de la viande ?  

Le meatspace est un terme parfois utilisé par désigner l’espace réel, par opposition à l’espace virtuel ou cybernétique. “Meatspace” : parce que la viande nous inscrit dans le réel — en tout cas, jusqu’à présent. Qu’en sera-t-il demain ? La question tombe fort à propos puisque nous venons de mettre au point une clé triangulaire pour analyser les innovations dans l’espace de l’alimentation. Appliquons donc cette clé à la question de l’avenir de la viande. Il y a actuellement beaucoup d’activités innovantes et de mouvements sociétaux dans l’espace de la viande et de ses substituts. Un exemple d’innovation de rupture est la viande de synthèse, issue de l’agriculture cellulaire. Un exemple de mouvement sociétal anti-viande est le véganisme. Où se situent les ruptures et les mouvements dans le triangle soutenabilité-transparence-authenticité, appliqué à la viande ? Nous montrerons bien sûr aussi en quel sens le poulet est un légume.

 

La viande est en compétition avec d’autres sources de protéines soutenables

La soutenabilité d’une activité dépend de son impact sur la planète : climat, conservation des ressources, pollution, et biodiversité. La production industrielle de viande n’est pas soutenable dans ses formes actuelles, en raison de la mauvaise densité environnementale des protéines animales. Le mieux, selon certains, serait de remplacer tout simplement la consommation de protéines animales par des protéines végétales, aux rendements meilleurs. Autre piste : les protéines d’insectes, ou encore les protéines de synthèse. Après tout, pourquoi pas une industrie de la nutrition soutenable, basée sur ce genre d’innovations de rupture ? Mais cette industrie pourra-t-elle rivaliser avec la densité nutritionnelle de la viande non industrielle, qui joue par ailleurs un rôle positif dans la biodiversité, dans la lutte contre la désertification, contre la déforestation, et contre la dégradation des sols ? Tant que ce n’est pas le cas, on peut penser qu’il y aura une demande et une offre de viande animale. 

 

Les trois problèmes de transparence de la viande

Le premier problème de transparence est celui de la provenance de la viande. Informations de traçage sanitaire et labels de qualité ou d’origine ou de soutenabilité ou autre permettent de le résoudre en s’appuyant sur les outils de la transformation digitale.

Un second problème de transparence dans le domaine de la viande concerne ses effets sur la santé. Selon une opinion répandue, la viande contiendrait trop de gras et de cholestérol. Par ailleurs, elle augmenterait le risque de cancer. Mais cette opinion est-elle fondée sur des données scientifiques indiscutables ? Il apparaît que non. Sur le terrain, l’image négative du gras a entraîné aux USA à partir des années 1980 une substitution dévastatrice du sucre au gras, ayant fait exploser l’obésité et le diabète.

Un troisième problème de transparence réside dans le risque de confusion sur les motifs de restriction dans la consommation de viande. L’alimentation est un domaine d’action privilégié pour l’individu consommateur, dans lequel il peut exprimer ses préférences et sa vision du monde de manière immédiate. Pour la même raison, il s’agit d’un domaine d’action collective privilégié. Le caractère immédiat des choix d’alimentation individuels facilite la conversion de tout problème individuel en problème d’alimentation.

Cette dimension sociale est très apparente dans le cadre des religions, anciennes et nouvelles, qui formulent des prescriptions alimentaires. Nous avions ainsi dans un autre article mentionné le rôle remarquable de ce facteur religieux, qui continue de jouer un rôle important dans les débats portant sur l’alimentation.

 

La viande a un potentiel d’authenticité élevé

L’authenticité d’un produit réside dans son histoire, qui inspire confiance. Dans le cas de la viande, le potentiel d’authenticité est élevé : les consommateurs de viande convaincus pensent qu’il s’agit d’un produit conforme à l’évolution et dense d’un point de vue nutritif.

 

La plupart des mangeurs de viande ne le savent pas, mais ils font partie d’un grand récit

Quelle meilleure histoire à raconter que celle de l’évolution humaine ? Or cette histoire immense, notent les philosophes de la viande, nous rapproche davantage du loup que de la vache sur le plan des dents, des mâchoires, et du système digestif. Notre anatomie n’est pas optimisée pour digérer des végétaux. Nous digérons en revanche parfaitement bien la viande, et ce d’autant plus que celle-ci n’est pas transformée, et/ou issue de l’élevage intensif.

 

Le boeuf tend à être supérieur au poulet

Le maïs ensilage est pauvre en protéines et en vitamines parce qu’il n’a pas développé de flore microbienne. En France, l’élevage intensif de bovins à base quasi exclusive de maïs ensilage est beaucoup moins développé qu’aux USA. La viande bovine française tend par conséquent à être plus nutritive. En revanche, les poulets sont plus souvent nourris au maïs ensilage. Ainsi ils deviennent gros, mais leur densité nutritive n’est pas supérieure à ce qui constitue leur alimentation. Vu sous l’angle de la densité nutritionnelle, le poulet nourri au maïs ensilage est un légume.

Meat Degustation

 

Conclusion : la viande authentique a un bel avenir

Ce qui rend la viande attractive, c’est qu’elle impose une limite à la transformation des aliments. La viande impose comme contrainte que le bétail puisse d’abord vivre. C’est une limite qui peut paraître dérisoire à notre époque d’élevages intensifs. Elle me semble néanmoins significative dans un contexte où les possibilités de transformation, de substitution et de synthèse sont aujourd’hui toujours plus vastes. Si les conditions d’élevage inquiètent, c’est que le consommateur se doute que ces conditions sont susceptibles de réduire la valeur nutritionnelle de la viande issue de ces élevages.

Mon scénario pour l’avenir de la viande serait ainsi que la transformation digitale continue inexorablement de donner plus de pouvoir à la production et à la consommation de viande authentique. Là où la viande industrielle n’apporte en réalité rien par rapport à des substituts, ces substituts l’emporteront. Mais la viande authentique continuera d’être un produit de choix et de convivialité dans la majorité du meatspace.