Mise en bouche

Le pourcentage d’adultes américains estimant que le lait chocolaté sort directement du pis de vaches marrons se situe actuellement autour de 7% selon un sondage récent. C’est pas mal. Quelles sont les croyances de ce groupe au sujet de l’origine de la viande de saucisse ? Ou de crevettes…  A vérifier.

Impression : l’industrialisation de nos modes de vie tend à nous maintenir dans une bulle de confort planant loin, très loin au-dessus des réalités qui rendent cette industrialisation possible. A la question de savoir ce que nous mangerons demain, la douce ignorance qui règne dans cette bulle répond naïvement : n’importe quoi, bien sûr.

Cette perspective est niaise mais pas nécessairement fausse, en un sens. Il n’est pas impossible que nous mangions à l’avenir de plus en plus n’importe quoi, de plus en plus de malbouffe transformée, de junk food. Néanmoins, par son équivocité, cette réponse suggère aussi une certaine indétermination de l’avenir, comme si nous étions libres de manger de plus en plus n’importe quoi. Comme si cette liberté n’était que le pendant de l’inépuisable diversité de nos goûts et de l’offre du marché.

Or il me semble que dans le contexte industrialisé tardif qui est le nôtre, c’est l’inverse qui est vrai : si nous sommes libres, c’est pour refuser de manger n’importe quoi.  Et si l’avenir ne nous semble pas si indéterminé, c’est parce que les contours du futur de la nourriture sont façonnés par des tendances que nous connaissons en partie déjà.

 

Trois aspects clés du futur de la nourriture

La Synergy Factory que Presans est en train de lancer confirme que trois aspects se dégagent au sein de ces tendances :

 

Megatrends exogènes

D’une part, les tendances générales et leur impact sur la production et la consommation de nourriture : la production et la consommation de nourriture est affectée par trois grandes tendances bien connues : la croissance démographique globale ; la lutte pour la soutenabilité de la chaîne de valeur alimentaire, contre le réchauffement et contre la pollution industrielle ; la transformation digitale. Ces tendances s’expriment à la fois par des initiatives locales, et par des projets et des institutions centralisateurs.

 

Transformation des modes de consommation

Ensuite, les tendances de la consommation de nourriture : les tendances de consommation qui émergent dans les marchés développés indiquent un intérêt croissant pour la santé et le bien-être. Les autres tendances de consommation incluent la quête de nouvelles expériences gastronomiques, la recherche d’efficience, de rapidité, de commodité, les nouveaux régimes basés sur des modes ou des mouvements, mais aussi la volonté de recourir à des circuits de distribution courts, et de s’impliquer en tant que consommateur actif dans la promotion des produits locaux. Les labels de qualité constituent un aspect majeur de la transformation des habitudes alimentaires par la consommation.

 

Disruptions technologiques

Enfin, les tendances technologiques et leur impact sur la production et la consommation de nourriture : ce troisième aspect est beaucoup moins visible puisqu’il touche aux innovations proprement technologiques dans le domaine de la nourriture, qui généralement visent à épouser les tendances esquissées ci-dessus en s’appuyant sur de nouvelles découvertes scientifiques et de nouvelles possibilités technologiques, sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la nourriture. L’exploitation des nouvelles possibilités technologiques peut susciter des résistances sociales ou être limitée par des normes éthiques.

Pour approfondir la dimension technologique du futur de la nourriture, rendez-vous sur la fiche technologique Presans Platform dédiée aux innovations dans le domaine de l’alimentation.

 

Le rôle des facteurs politique et culturel

Les réponses apportées aux tendances esquissées ci-dessus ne se feront pas de manière aléatoire, elles non plus. Elles obéiront à des impératifs politiques et géopolitiques. Elles exprimeront aussi des préférences d’ordre culturel.

Prenons un pays comme la Chine. La demande chinoise de protéines animales est en pleine croissance, ce qui induit une hausse de la demande pour nourrir les animaux d’élevage. Confrontée à l’insuffisance de la production agricole nationale, et afin de réduire son risque de dépendance vis-à-vis du marché agricole international, la Chine cherche depuis plusieurs années à délocaliser sa production… notamment en France, où s’exprime régulièrement une inquiétude quant aux acquisitions chinoises de terrains agricoles.

La France quant à elle se lance avec enthousiasme dans la transformation digitale de la chaîne de valeur de l’alimentation. Le secteur de la FoodTech se développe et gagne en notoriété. L’idée de développer des applications de suivi de la consommation de nourriture est partie des USA et du life hacking, mais semble avoir trouvé en France un terrain d’expression privilégié, comme le montre le succès de Yuka, Foodvisor, etc. Hypothèse : Il y a une affinité française avec l’idée d’indexer, d’évaluer, de labelliser la nourriture, qui s’inscrit elle-même dans une affinité plus large pour le principe d’une obligation à informer les consommateurs et de réguler l’activité économique. Cette affinité pour l’information, voire pour l’éducation du consommateur est au principe même de la stratégie digitale française défendue par Emmanuel Macron. Dès le départ, nous pouvons d’ailleurs observer que le pionnier américains du suivi alimentaire, Fooducate, est financé par le fonds d’origine française Kima Ventures.

Si vous êtes dans le business agro-alimentaire, sous-estimer ces facteurs politiques, géopolitiques ou culturels peut conduire à passer à côté d’opportunités, ou à détruire de la valeur. Mais pour opérer les vraies innovations de rupture, le questionnement ne doit pas s’arrêter là.

 

Les corn flakes comme paradigme de l’innovation alimentaire industrielle

Pour anticiper ce que nous mangerons demain, il convient de ne pas négliger l’aspect philosophique de la question. De ce point de vue, ce qui est le plus frappant est l’association fréquente entre conviction religieuse et innovation alimentaire. Pour comprendre comment concrètement apparaît un nouveau produit alimentaire, prenons l’origine des corn flakes.

Cela peut surprendre mais innover dans le domaine de l’alimentation peut aussi signifier engager une lutte pour transformer, pour racheter un monde déchu, à partir du contraste puissant d’une vision religieuse et éducatrice. L’histoire des corn flakes illustre cette idée à merveille et permet de voir à l’oeuvre une créativité qui ne se limite pas à réguler ou à informer sur des produits déjà existants.

L’origine des corn flakes réside dans la recherche de nouveaux aliments végétariens par les membres de l’Eglise Adventiste du Septième Jour, vers la fin du dix-neuvième siècle. Nos héros, les frères Kellog oublièrent un bol de blé bouilli et dans un moment de sérendipité décidèrent de ne pas jeter le blé rassis, mais d’aplatir puis de griller les grains. Le succès de ce nouvel aliment au sein de leur sanatorium les encouragea à le produire en masse et à le  commercialiser pour le grand public.

Il est instructif de considérer comment cette aventure industrielle se déroula lors de deux épisodes de purisme végétarien. Cas numéro un : les frères Kellog n’étaient pas d’accord sur l’ajout de sucre, qui contrevenait selon John Harvey au principe végétarien. En bon protestant Will Keith fonda sa propre entreprise, qui devint finalement la seule à posséder le droit d’utiliser le nom Kellog. Cas numéro deux : un certain Edward Halsey avait cherché à persuader les frères Kellog de renoncer à exploiter leur invention. L’objection reposait sur l’idée que l’ajout de lait aux corn flakes serait incompatible avec le végétarisme promu par l’Eglise Adventiste du Septième Jour. Les frères Kellog envoyèrent le trublion en Australie pour ne pas nuire à leur activité, tout en donnant sa chance au jeune homme énergique, qui ne tarda pas à élaborer des produits innovants au sein de sa boulangerie. Mais c’est une autre histoire.

Avant de conclure, notez que si vous vous sentez dérouté mais néanmoins curieux de tester une autre manière de mener vos réflexions stratégiques, Presans Explore est là pour vous accompagner.

 

Conclusion

Nous avons montré que l’avenir de la nourriture ne serait pas n’importe lequel, et qu’il ne nous vouait pas à manger n’importe quoi. Parmi tout un ensemble de facteurs à prendre en compte, nous avons fini par considérer celui de l’esprit qui anime tout nouveau mouvement alimentaire. Il nous semble particulièrement intéressant d’étudier les cas où une telle inspiration se combine avec succès avec le système économique. La créativité à l’origine des corn flakes n’est ainsi pas celle d’une folie religieuse prescrivant de manière intransigeante un régime excentrique, mais bien une conciliation de l’impératif de la profitabilité et de celui de l’amélioration du monde par l’éducation, qu’il est loisible de juger caractéristique du succès d’une certain capitalisme protestant anglo-saxon. Qui seront les successeurs de ces innovateurs capables de combiner le souffle de l’inspiration collective avec la vision d’un modèle économique profitable ? Voilà peut-être une question permettant de commencer à identifier les futurs gagnants du capitalisme nutritionnel… Alors, discutons-en !