En bref : > Ce qui se joue au cœur de la disruption digitale est l'émergence des organisations ouvertes. > Les missions inspirantes jouent un rôle crucial de coordination et d'engagement au sein des organisations ouvertes. > Dans cet article, Albert Meige approfondit l'examen de la notion de mission inspirante.
Introduction
L’un des aspects cruciaux des organisations ouvertes est la présence d’une mission inspirante. C’est cette notion que je voudrais développer aujourd’hui.
Mon intuition du rôle joué par les missions inspirantes est elle-même inspirée par les travaux de Simon Sinek et sa fameuse injonction : Start with Why? L’idée d’un massive transformational purpose inhérent aux organisations exponentielles a également stimulé ma réflexion sur ce thème.
Je note par ailleurs la convergence des réflexions qui ont lieu autour de moi sur ce point, aussi bien chez Pierre Gohar, Emmanuelle Duez, Jérémy Lamri, Patrick Koller, Emmanuel Faber ou encore Emmanuel Macron.
L’exemple que je garde à l’esprit est celui de Tesla, dont la mission déclarée est d’accélérer la transition vers un monde énergétiquement durable.
Je partirais maintenant de ce que je perçois être deux problèmes auxquels toute organisation doit faire face, l’un ancien et permanent, l’autre peut-être plus récent dans son acuité :
- Coordonner des groupes d’individus
- La recherche de sens.
1. Comment faire avancer 1000 personnes dans la même direction?
Toute organisation doit disposer de principes de coordination pour pouvoir fonctionner, et ce fait ne date pas d’hier. C’est le cas notamment pour une armée. Il semble bien que les conceptions modernes de l’organisation soient issues du domaine militaire.
Les principes de coordination d’un groupe sont multiples mais peuvent être regroupées en deux grandes classes : la coordination par un pouvoir, la coordination par un libre accord.
Le sociologue Max Weber distinguait en particulier trois formes de pouvoir :
- traditionnel : Le pouvoir est fondé sur des règles transmises de génération en génération, dont la fonction systémique n’est pas explicitée et dont l’évolution tend à être lente.
- charismatique : Le pouvoir est fondé sur l’autorité personnelle d’un chef, doté de charisme. La source de ce charisme est variable.
- bureaucratique : Le pouvoir est fondé sur des règles conçues rationnellement en vue d’un but systémique explicite. L’évolution de ces règles peut être rapide.
Le libre accord peut prendre la forme de contrats et de transactions marchandes, typiquement encadrées par des règles dont le respect est basé sur une combinaison de confiance et de puissance coercitive.
2. La recherche de sens contre la taylorisation de l’absurde
Les interrogations sur les « jobs à la con » (« bullshit jobs ») prolifèrent en ce moment. Un sentiment angoissant d’absurdité se répand dans le monde du travail, soit que le travail paraisse intrinsèquement vain, soit que l’impact positif du travail soit impossible à percevoir.
Pour contrer cette angoisse, deux solutions semblent se présenter :
- Combiner un travail plus ou moins absurde avec des engagements à impact visible, en mettant ses compétences au service de nobles causes.
- Trouver un travail dont l’impact positif est explicitement formulable et perceptible. Les médecins, les enseignants ou les soldats sont par exemple moins exposés au sentiment d’absurdité de leur travail, pour ne pas dire pas du tout.
3. Fonctions de la mission inspirante dans les organisations ouvertes
La coordination réalisée par les organisations ouvertes couvre au minimum un domaine comprenant à la fois des collaborateurs internes et externes, cette dernière catégorie étant elle-même très hétérogène.
La mission inspirante fait partie de l’interface organisationnelle qui permet de coordonner cet ensemble d’individus autour d’un but :
- Le but donne sens aux tâches, aux fonctions, et aux projets de chacun.
- La conscience du but favorise la coordination en orientant la compréhension et le jugement des individus, ce qui leur permet de trancher et de prendre des initiatives utiles et nécessaires plus facilement.
- La participation à la mission engendre une appartenance ou un degré d’appartenance à l’organisation ouverte, et donc la reconnaissance d’un statut ou d’une position dans l’organisation et la société en général.
Dans le cas de Tesla, la priorité de la transition énergétique est elle-même issue d’un vaste processus de mise à l’agenda des énergies durables. Ce processus a lieu dans un cadre politico-social qui englobe les entreprises, mais sur lequel elles cherchent également à exercer une influence.
On pourrait penser que l’organisation ouverte tend vers la décentralisation. Je pense qu’il faut nuancer cette impression. Le rôle des individus charismatiques ne disparaît pas avec l’ouverture. Il se combine avec une mission inspirante : c’est notamment le cas chez Steve Jobs, Elon Musk, Xavier Niel ou encore Jeff Bezos, ces héros de la disruption.
4. Tout cela n’est pas si nouveau et pourrait relever d’une constante anthropologique
La notion de héros de la disruption, de grand homme, de pouvoir charismatique a quelque chose d’archaïque qui déclenche en nous le soupçon et le scepticisme.
Je pense qu’il faut aller encore plus loin dans l’archaïsme pour comprendre ce qui se passe avec la notion de mission inspirante, qui tend par elle-même vers l’idée d’un grand récit.
Emmanuel Macron notait dans un entretien accordé récemment au Spiegel la lacune actuelle dans ce domaine en Europe.
Le défi est clair : soyons intrépides!
5. Prochaine étape
Je pense qu’il serait bon de creuser le parallèle entre entreprises et organisations militaires, car dans ce domaine aussi ont lieu des transformations profondes. L’évolution des doctrines militaires pourrait être du plus grand intérêt pour l’étude des organisations ouvertes.
Une piste qui pourrait réserver des surprises!
Bonjour,
A la demande du CEO Albert Meige, je publie ici une question qui m’est venue en parcourant ce blog, et dont je m’étais permis de lui faire part par mail.
Je me demandais donc si la vision du progrès et de l’innovation que ce blog participait à propager, n’ignorait pas sciemment une grande partie du défi s’adressant à ces innovations, et plus largement à l’humanité, à savoir : la stabilité des flux géophysiques, la pérennité des ressources indispensables à notre survie, et la préservation de la biodiversité.
Ainsi, pour engager la conversation, je remarque que vous admirez fréquemment Elon Musk (je cite : « le rôle des individus charismatiques ne disparaît pas avec l’ouverture. Il se combine avec une mission inspirante : c’est notamment le cas chez Steve Jobs, Elon Musk, […] »), en prêtant à certains de ses projets des qualités qu’ils n’ont pas, loin s’en faut. Par exemple Tesla qui, d’après vos dires, accorderait une « priorité à la transition énergétique […] elle-même issue d’un vaste processus de mise à l’agenda des énergies durables. ».
S’il n’est pas à douter que la noble mission qu’assigne Elon Musk à son entreprise joue effectivement un rôle majeur pour attirer des financeurs, la vertu écologique de ses voitures reste entièrement à démontrer, non seulement à l’échelle du véhicule proprement dit, mais surtout à l’échelle du parc automobile, et de la mobilité planétaire qu’il prétend vouloir révolutionner. Lire, à ce sujet : http://www.liberation.fr/planete/2018/02/01/metaux-rares-un-vehicule-electrique-genere-presque-autant-de-carbone-qu-un-diesel_1625375
Je m’avance probablement beaucoup en disant cela, mais j’ai l’impression que la principale raison expliquant nos divergences d’opinion est que vous ignorez – à dessein ou non – l’impact global des technologies sur les ressources planétaires. J’insiste sur global car il est très important d’associer au développement de ces technologies, et notamment des technologies modernes, leur coût total pour la société, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à leur fin de vie, en passant par leur production en masse et leur large déploiement. Ce coût global n’est pas évident à estimer, et pour cause : nous reléguons généralement les tâches industrielles les plus polluantes (extraction primaire, fin de vie) aux zones du monde les moins dotées d’outil de contrôle de la pollution.
Avez-vous entendu parlé de la collapsologie ? http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/04/etre-catastrophiste-c-est-etre-lucide_5237562_3232.html
Des low-tech ? https://www.youtube.com/watch?v=Bx9S8gvNKkA
Connaissez-vous le spécialiste des question énergétiques Jean-Marc Jancovici ? https://www.youtube.com/watch?v=2JH6TwaDYW4&t=539s
Cordialement
Cher Arthur,
je vous remercie beaucoup d’avoir partagé avec moi votre point de vue. Le sujet que vous abordez est en fait au coeur de nos préoccupations. Je suis effectivement très intéressé par les technologies, mais je suis encore plus préoccupé par l’impact de celles-ci sur les organisations au sens très large (entreprises, Etat, démocratie, planète, la société, les individus etc.).
Nous organisons d’ailleurs régulièrement des événements autour de cette thématique:
Jetez un oeil à ce mini résumé de notre dernier événement au cours duquel nous avons débattu de l’intelligence artificielle, de la ville augmentée et de leur impact sur les citoyens et la démocratie:
https://www.youtube.com/watch?v=xAvWEbSCISA
https://open-organization.com/fr/2017/11/14/francais-raout-presans-2017-compte-rendu-du-debat/
Egalement ma conférence TEDx sur le futur du travail: bit.ly/transfer2033 (j’espère que vous apprécierez la dystopie)
Concernant Elon Musk, je crois savoir qu’il fait partie des personnes très concernées par l’impact des technologie sur notre société.
(il est notamment au board de l’institut Future of Life). Simple vernis? Je ne pense pas 🙂
Encore une fois, un grand merci pour votre retour.
bien à vous
Albert