Organisée par Presans, l’edition 2019 de DYSTOPIA a pour thème la convergence et les interactions entre la technologie et l’humain, appréhendées à travers des technologies relevant de l’intelligence artificielle, des interfaces hommes-machines, et des réseaux sociaux. Dans cet article, nous expliquons pourquoi nous organisons cet événement.

 

Le progrès technologique accélère et emporte avec lui des conséquences mal aperçues pour nos vies individuelles, sociales et politiques. En échange d’une promesse d’extension indéfinie de notre durée de vie, de notre intelligence, de notre bonheur, il va jusqu’à remettre en question les structures biologiques et culturelles qui composent notre base anthropologique.

Chaque nouvel objet intelligent, chaque nouvelle interface, chaque nouvelle mise en réseau contribue insensiblement à nous inscrire dans un rapport utopique à l’histoire et au réel. Par nos choix de consommation, nous semblons être les acteurs de ce rapport utopique au temps. Chaque pas vers l’utopie technologique nous invite cependant aussi à nous interroger sur les aspects négatifs qu’elle cacherait : non pas pour se complaire dans la négativité, mais pour donner un nouvel élan à nos vies et nos intelligences individuelles et collectives.

Le fait de l’accélération du progrès technologique ne livre pas de certitude sur l’orientation de cette accélération, or c’est cette orientation qui importe, pour trois raisons :

  • Elle impacte la société à tous les niveaux de profondeur anthropologique…
  • … à travers des vecteurs technologiques concrets…
  • … dans un contexte géopolitique en plein changement.

 

1. Appréhender l’impact sur la société

La réflexion dystopique s’inscrit à différents niveaux :

  • Le niveau de l’individu
  • Le niveau du politique
  • Le niveau anthropologique

La série Black Mirror (2011- ) reste pour l’essentiel au niveau de l’impact sur l’individu. De nombreux épisodes explorent des scénarios d’augmentation, ou d’altération de la mémoire ou de la perception, de conscience virtuelle. Hormis un épisode où figure un clone, la manière dont les individus viennent au monde n’est pas thématisée. De même, la réflexion politique n’est pas présente en tant que telle.

1984 (1949) est une dystopie qui se situe fondamentalement à un niveau politique. De même, les pays qui dévient de la norme politique occidentale fournissent souvent l’occasion de nourrir une imagination dystopique. Le cas des systèmes de “crédit social” en Chine pourrait figurer comme cas d’école de ce type de réaction où la méconnaissance du contexte local se combine avec la projection d’angoisses générées par les aspects inquiétants du développement de nos propres sociétés.

Brave New World (1932) est une dystopie qui va jusqu’au niveau anthropologique, en passant par les trois précédents : les individus y viennent notamment au monde dans des couveuses. C’est à ce niveau que se situe aussi une partie de l’oeuvre de Michel Houellebecq : ce qui y est interrogé va bien au-delà de la question de la forme politique, ou du bonheur individuel, tout en englobant ces questions.

Ce serait une erreur d’en rester au premier niveau pour DYSTOPIA, dont le thème général porte cette année sur la transformation digitale.

À titre d’exemple, chacun d’entre nous aperçoit les contours qui émergent d’un monde smartifié, où tout tend à devenir un service. Dans ce monde, il n’est pas difficile d’envisager que des régressions politiques et anthropologiques pourraient s’accompagner de gains apparents de liberté individuelle. Le potentiel dystopique de la vie comme service, du life as a service n’a pas de limite.

Avant d’aller plus loin, il convient d’abord de davantage affiner les thèmes technologiques qui seront abordés.

 

2. Examiner des technologies concrètes

Les technologies qui suscitent de manière évidente une inquiétude n’offrent pas nécessairement le meilleur potentiel dystopique. Une dystopie est plus efficace quand elle exerce un attrait équivoque. En particulier, les applications militaires d’une technologie ne sont pas en elles-mêmes dystopiques.

Trois thèmes technologiques ont été retenus pour l’édition 2019 de DYSTOPIA :

  • L’intelligence artificielle
  • Les interfaces homme-machine
  • Les réseaux sociaux

Ces trois thèmes restent assez généraux et peuvent inclure une grande variété de technologies concrètes, par exemple le deep learning, la réalité virtuelle, les interfaces neurales, le web décentralisé, le big data… les technologies envisagées peuvent aussi être plus spéculatives, par exemple l’IA dite générale.

 

3. Intégrer le contexte géopolitique à l’analyse

Le moment historique actuel semble être marqué par la montée dans de nombreux pays des oppositions à la globalisation, sous la forme de mouvement populistes, de politiques commerciales restrictives, d’attaques contre le “néolibéralisme”, de partis de protestation et de tendances localistes. Ces positions sont parfois accompagnées d’appels aux intérêts nationaux et aux traditions culturelles. Ce nouvel état d’esprit signifie une rupture avec le paradigme antérieur de la globalisation, basé sur le rôle encadrant des institutions internationales et sur l’idéal d’une citoyenneté mondiale. Après deux décennies de tensions modérées, nous assistons par ailleurs à un retour en force des rivalités géopolitiques entre grandes puissances. L’horizon de la fin de l’Histoire, de la convergence économique et de la globalisation technologique s’efface, laissant apparaître les contours encore indistincts d’un monde nouveau et incertain.

Le progrès technologique, et, en particulier, le progrès des technologies numériques, cessent d’apparaître simplement comme ce qui nous libèrerait de nos appartenances historiques en nous faisant participer à l’édification d’une utopie universelle et inclusive. Sous la lumière plus crue de l’époque qui vient, le monde de l’utopie numérique, dont on dit souvent qu’il avale tout, se révèle structuré par des rapports entre des forces inégales. Dans ce monde de rapports de forces, la France et l’Europe sont aujourd’hui les colonies numériques d’autres puissances.

Cette situation pourrait être dystopique à plus d’un titre. Sous la promesse d’une richesse créée par l’ouverture à tous pourrait en effet se cacher un terrible appauvrissement de notre capacité créatrice. Est-ce ainsi que nous répondrons aux grands défis technologiques et énergétiques globaux ? Est-ce ainsi que notre pays peut bâtir son avenir ? N’est-ce pas l’existence d’une pluralité de centres, d’une réelle diversité des acteurs qui a toujours été le facteur clé pour faire avancer les sciences et les technologies, dans le numérique comme ailleurs ?

Ainsi, DYSTOPIA se veut l’événement tech alternatif de référence pour rompre en beauté avec les faux charmes de l’utopie et se déprendre d’un rapport naïf au nouvelles technologies, en faisant se croiser des regards issus des mondes industriel, académique, artistique et intellectuels. DYSTOPIA donne accès à des expertises de pointe portant sur des technologies concrètes, afin d’envisager les questions éthiques, sociétales et philosophiques que ces technologies soulèvent.