Mardi 28 aout 2018, 10h, Shenzhen (Chine). Je viens de battre mon record de temps passé dans les transports. Tout a commencé il y a 42h à Paris. Tout se passait bien : le vol pour Beijing était parfaitement à l’heure et j’ai même dormi 5h. C’est pour la connexion avec Shenzhen que ça a dérapé. Retard. Orage. Avion détourné. 1h dans un hôtel quelque part entre Beijing et Shenzhen. Bref, le groupe de cadres-dirigeants que nous accompagnons et nous finissons par arriver. Le programme que nous avons concocté pour cette Learning Expedition (LEX) peut enfin commencer. C’est parti pour 4 jours de surprises ! Résumé de ce qui m’a frappé. 

Du « made in China » au « created in China »

Les acteurs clés de l’innovation en Chine sont l’Etat (si l’Etat souhaite faire quelque chose, il le fait, et il le fait rapidement), les capitaux privés (qui permettent de mettre le paquet sur beaucoup d’initiatives innovantes), et les startups (qui poussent vites, dont les fondateurs sont souvent très jeunes, et de plus en plus internationaux).

Concernant l’injection de capitaux dans les startups, il y a véritablement un « capital game » : attirer le plus d’utilisateurs le plus rapidement possible, enchaîner les tours de table, asphyxier les concurrents qui ne lèvent pas assez vite, dominer et se faire racheter par un des BAT(X)[1].

Comment WeChat est passé d’une messagerie à une plateforme d’infrastructure

WeChat est une des plateformes utilisées par tous les Chinois dans leur vie quotidienne. Bizarrement WeChat a commencé comme une application de messagerie. Or en Chine, il y a un truc hyper social qui s’appelle les Red Packets. Ce sont de petites enveloppes rouges dont les Chinois se servent pour offrir des étrennes à la nouvelle année. Un beau jour, WeChat a décidé d’intégrer la possibilité d’offrir des Red Packets à travers la messagerie. Ainsi, WeChat est devenue une application de paiement. Aujourd’hui, on peut tout faire sans sortir de l’application WeChat : faire ses courses, payer ses impôts, commander un Didi… et bien sûr chatter. WeChat, en quelques années est devenue une plateforme d’infrastructure[2].

Build Your Dreams : l’intégration au service de la rapidité ?

De notre visite chez le constructeur automobile BYD (acronyme de Build Your Dreams), je retiens principalement 2 points :

Intégration et diversification : la première chose frappante c’est qu’en fait BYD n’est pas juste un constructeur automobile comme on les connaît habituellement. Tout d’abord, pour ses véhicules, BYD conçoit et produit tout (à l’exception des pneus et des vitres). Ensuite, la maîtrise de toutes les briques technologiques de la chaîne permet par ailleurs à BYD de se diversifier à outrance (batteries, électronique, voitures, bus, tram etc.). Ils sont partout. On comprend alors beaucoup mieux le nom de l’entreprise.

Vitesse : le second aspect frappant est la rapidité de décision et d’action quand il s’agit de lancer de nouveaux projets stratégiques : à sa création en 1995, BYD est sur le marché des batteries. En 2003 on décide de se lancer dans les voitures électriques. En 2005, c’est fait. En 2009, c’est les bus électriques. 2016, les trams.

Aux questions un peu stratégique – BYD vendra-t-elle demain de la mobilité à la demande plutôt que des voitures[3] ou bien BYD va-t-elle racheter Tesla[4] – nos interlocuteurs ne répondront pas. Cependant, on apprendra un peu plus tard dans la semaine que BYD est un des investisseurs de PonyCar (application de partage de voiture). On sait par ailleurs que le chinois Tencent a acheté en 2017 5% du capital de Tesla. De là à en tirer des conclusions…

PonyCar : une plateforme pour maximiser l’utilisation de « sa » voiture

PonyCar est une plateforme de partage de voitures fonctionnant aux énergies nouvelles, fondée en 2016. L’idée est la suivante : beaucoup de monde souhaite conduire une voiture sans pour autant avoir la nécessité de la posséder – d’ailleurs, en Chine, 215 millions de personnes ont le permis de conduire, mais ne possèdent pas de voiture. PonyCar permet d’une part aux constructeurs (BMW etc.) d’optimiser l’utilisation des voitures qu’ils proposent en location et aux usagers de conduire une voiture sans la posséder. Tout va très vite : en 2 ans, PonyCar a levé 450M¥ (56M€), rassemble une centaine de collaborateurs, mais surtout 2 millions d’utilisateurs sur la plateforme et un breakeven après… 8 mois ! Le résultat est impressionnant : 5-8 locations/jour/voiture, soit 3 fois plus que la moyenne de l’industrie. Ainsi une voiture est utilisée en moyenne 10h par jour, au lieu d’une heure en moyenne. Le secret de ce gain de performance est double : logiciel et matériel. Côté logiciel, une application utilisateur avec une UX permettant une expérience simple et efficace, une IA pour le system de dispatch des voitures et une application de gestion au niveau du back-end. Côté matériel, la box pour capter, mesurer etc.

Baidu : le véhicule autonome en Chine est-il à la pointe ?

Nous nous rendons ensuite chez Baidu (le Google Chinois). A l’instar de Google, Baidu a aussi une activité autour du véhicule autonome. Chez Baidu, on a commencé bien plus tard (2017) et on est au 4ème niveau d’autonomie. Google a atteint le niveau 3 en 2012 et travaille activement sur le niveau 5 via sa filiale Waymo. Point intéressant pour Baidu, les 200 000 lignes de code de son véhicule autonome sont en open source. On cherche donc à développer l’Android du véhicule autonome afin de construire un écosystème (10 000 développeurs ont déjà téléchargé le code).

MOBIKE : whaou !

Mobike, ce sont les vélos gris et orange qui ont débarqué à Paris il y a quelques mois. Fondé en 2015 par la jeune femme Weiwei Hu avec la vision de ramener les vélos dans les villes, Mobike est l’entreprise avec la croissance la plus rapide que nous ayons visitées : 1 milliard de levée de fonds, 20 millions de transaction en 11 mois, 9 millions de vélos en opération dans le monde, présents dans 200 villes et 19 pays… et déjà la septième génération de vélos. Pour l’anecdote, dans notre article sur la fonctionnalisation3, nous avions expliqué que l’économie du on demand risque d’accroître ce que les économistes appellent le hasard moral : les utilisateurs ne possédant pas le produit ont tendance à être moins précautionneux avec celui-ci. Quelques semaines après la publication de notre article, GoBeeBike, concurrent de Mobike se retirait des opérations à Paris en prétextant un taux de vandalisme supérieur à la moyenne. Mobike nous confirme cette tendance, mais en précisant qu’il y a pire que Paris : Manchester. Pour pallier le hasard moral (qui n’est sans doute pas si hasardeux), Mobike a introduit une safe zone afin de ne pas pouvoir redéposer et louer les vélos dans les zones à risque. Où s’arrêteront-ils ? On apprend que la trottinette est en R&D et que la voiture est « a bit further down the road » !

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Innovation en Chine : big, fast & transparent

  • BIG : le marché est gigantesque. On voit grand. On devient grand.
  • FAST : tout bouge très vite. On décide vite. On agit vite. On se fait racheter vite.
  • TRANSPARENT : « in some countries, this may be illigal » fut la réponse à la question : « what about privacy ? ».

Dernier point intéressant, les tendances dont nous avons parlées dans de nombreux articles et les spécificités des Organisations Ouvertes se confirment – nous l’avons encore entendu à de maintes reprises lors de nos visites : l’expérience utilisateur est le point de départ ; on ne vend plus des produits, mais des services (user-centric functional) s’appuyant sur IOT et IA (data-driven), et d’ailleurs, on nous dit : « experience cars like mobile phones ». Les BATX proposent des plateformes d’infrastructure (platform strategy) au sens large (arsenal numérique, données, mais aussi des talents et des capitaux). On a recours aux talents à la demande (on-demand talents) : « Startups are paving the way ».

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[1] BATX: Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi

[3] Pour survivre, ne vendez plus de produits, Chanut & Meige, HBR France (2018).

[4] Tesla: ça passe ou ça casse, Knight & Meige, open-organization.com (2018).