Cet article est une introduction au séminaire du 17 avril 2018 organisé conjointement par Total, HEC et Presans sur le virage numérique manqué de Kodak, avec la présence exceptionnelle de Steven Sasson, l’inventeur de la photographie numérique.
Capture d’un atelier workshop sur LinkedIn, panoramique d’une plage sur Instagram ou selfies intempestifs sur nos timelines Facebook… La photographie numérique fait aujourd’hui partie intégrante de notre quotidien, en tant qu’image connectée. Mais ce ne fut pas toujours le cas, elle qu’on pensait dépourvue d’intérêt et sans avenir à ses premiers balbutiements.
C’est effectivement avec la responsabilité d’une tâche jugée insignifiante que Steven Sasson, fringuant ingénieur de 24 ans, débute son aventure chez Kodak en 1973. Sa mission : trouver une utilité spécifique au dispositif de couplage de charge (CCD) mis au point en 1969 et permettant de convertir une lumière émise en signaux numériques.
Sasson finalise sa recette en 1975 : convertir ces signaux en nombres, stocker l’information dans une mémoire RAM, la retranscrire sur une bande magnétique pour relier le tout à un poste de télévision. Et PAF ! Ça fait des photos numériques !
» Personne ne voudra jamais regarder des images sur un écran de téléviseur ! «
Sasson décide de présenter son dispositif à quelques cadres de Kodak : 3,6 kg à la balance, prise de photos en noir et blanc de 0,1 megapixels en 50 millisecondes, enregistrement sur cassette et affichage sur écran télévisé en 23 secondes. Le futur était en marche. Sauf que non. La réception de l’idée ne souleva pas vraiment les foules, comme l’explique Sasson :
« Ils étaient convaincus que personne ne voudrait jamais regarder ses images sur un écran de téléviseur. La photo existait uniquement sur papier et ce depuis plus de 100 ans, personne ne se plaignait des tirages et ils étaient très peu coûteux… »
Car l’équipe Marketing y voyait un problème de positionnement. Kodak, qui réalisait des marges colossales sur les pellicules, ne voyait pas l’intérêt de remettre en question le schéma de la chaîne de production d’une image qu’ils contrôlaient de A à Z : vente d’appareils Kodak, de pellicules Kodak, de papier Kodak, de tirages photos à base d’émulsions Kodak… Un vrai Apple avant l’heure, le flair en moins. Concentré uniquement sur la photo, le puissant Kodak n’avait besoin de personne et surtout pas de ses concurrents d’alors, plus diversifiés (Canon, Nikon) et enclins aux alliances industrielles (Leica-Panasonic, Zeiss-Sony). Résultat des courses : un brevet bien fade pour le dispositif de Sasson sans investissements particuliers sur ce nouveau marché.
18 ans plus tard, Kodak enclenche son virage vers le numérique et commercialise son 1er appareil. L’entreprise déclare faillite en 2012. En 2013, elle compte 8500 salariés et se spécialise dans l’impression sur papier pour les entreprises, à l’heure de la révolution digitale. Enough said.
Alors, comment Kodak a-t-il pu se montrer si fébrile en laissant filer entre ses doigts la révolution numérique ? Qu’avons-nous à apprendre de l’évolution de la notion de prise de risque industrielle du point de vue décisionnel d’hier à aujourd’hui ? Kodak occuperait-il la première place du Fortune Global 500 s’il avait utilisé le service de Conciergerie de Presans ?
Tels sont les exemples de question que nous aborderons lors de ce séminaire exceptionnel, en présence d’un des protagonistes principaux de ce cas d’étude qui continue à déchainer les passions des stratèges industriels de tous bords.