Introduction
Nantes, 28 octobre 2020. Albert, notre CEO devait donner une conférence à Nantes le lendemain. Mais ça c’était avant. Avant qu’Emmanuel Macron n’annonce le second confinement. La conférence est annulée. Albert est déjà à Nantes. Que faire ? En profiter pour partager quelques verres et un burger avec Thibaut Jarrousse, fondateur de 10-Vins. Partager quelques verres, mais aussi parler innovation dans le Future of Food.
Albert Meige et Thibaut Jarrousse
Lancer une innovation de rupture suppose de disposer d’un avantage technologique. Lancer une innovation de rupture dans un domaine relevant du luxe, tel que le vin, exige en outre de se positionner avec succès dans un espace structuré par des marques établies, soucieuses de préserver leur image. Comment fait-on pour piloter un projet d’innovation industrielle de rupture dans un tel univers ?
La dégustation du vin a ceci de particulier qu’elle est à la fois fortement (50%) influencée par la température et l’aération, et à 70% effectuée au verre. Cette situation entraîne un risque de dégustation gâchée. Face à ce problème, 10-Vins produit et vend la D-Vine : la première machine de dégustation de vin au verre qui aère et met à température des flacons de vin. Ce projet, qui trouve son origine en 2010, donne des indications précieuses concernant le pilotage de projets d’innovation industrielle de rupture dans un contexte de produits de luxe. Dans cet article, nous allons voir pourquoi la clé du succès pour ces projets réside dans le développement commercial.
Thibaut Jarrousse
L’aventure de 10-Vins
De formation ingénieur, Thibaut Jarrousse fait ses armes dans le groupe de produits cosmétiques Yves Rocher. Il y acquiert les codes industriels et la maîtrise de l’excellence opérationnelle. Sensible à la tendance du verre au vin et désireux de créer son entreprise, il se lance avec un associé dans l’aventure 10-Vins en 2010, quittant son poste chez Yves Rocher en 2012.
Le moment où 10-Vins a trouvé sa configuration actuelle se situe autour de 2017. C’est à ce moment que l’entreprise a pivoté vers un modèle de vente BtoB, axé sur la haute performance, et, à terme, optimisé sur les plans de l’ingénierie financière et commerciale. Ingénierie financière : les machines sont vendues en leasing depuis 2019, ce qui permet de financer la croissance de l’entreprise avec la dette de ses clients, pour qui la machine est immédiatement rentable. Ingénierie commerciale : recrutement et structuration d’une force commerciale performante, dès 2017. La méthode de vente fait maintenant 38 pages, et c’est un processus en amélioration constante.
En parallèle a lieu le lancement de la D-Vine Connect, plus didactique (2018), ainsi que la poursuite du développement pour améliorer la performance (vitesse) de la machine.
Les défis surmontés
Il n’est pas inutile de revenir sur les défis surmontés par 10-Vins, notamment lors de la période qui précède le pivot vers le BtoB. Car en réalité, les premières années du projet seront vécues comme une traversée du désert. C’est pendant cette période qu’a lieu le développement de la machine. L’entreprise s’entoure aussi d’une communauté : c’est ce qui permettra de lancer dans de bonnes conditions un crowdfunding en 2015. La machine y sera proposée au prix unitaire de 250 euros. Mais, du côté du partenaire industriel prospectif, le prix de revient proposé se situe initialement autour de 6000 euros. L’écart provient des pratiques d’excellence industrielle dans la production à très grande échelle. Il faut changer de paradigme et raisonner sur une échelle plus petite, ce qui permet de rendre raisonnables les coûts de production et de limiter les pertes à la vente. L’entreprise perd de l’argent mais met la machine dans les mains de clients. En 2016, l’entreprise gagne en visibilité : participation au CES de Las Vegas et au Forum de Davos, dans la délégation d’Emmanuel Macron.
Pendant les années 2016-2017, l’entreprise se heurte de front à la question de la stratégie de marque des partenaires industriels prospectifs. La réticence des partenaires potentiels à engager leur marque établie sur un nouveau produit invite 10-Vins à adopter vis-à-vis d’eux une posture basse, pour prouver que le produit est suffisamment bon pour la marque. Par ailleurs, le modèle économique BtoC apparaît inadapté. Le succès de Nespresso, basé sur la vente de consommables, et ayant exigé 20 ans d’efforts, n’est pas transposable au domaine de la dégustation du vin.
Comme nous l’avons vu plus haut, la solution véritable vient du choix de concentrer le focus de l’entreprise sur le segment BtoB. Le succès auprès des entreprises du secteur de la restauration de prestige améliore la position de 10-Vins vis-à-vis des grands groupes, en instaurant dans les partenariats une relation de fournisseur à client.
Grands groupes et startups face à l’innovation de rupture
L’aventure de 10-Vins met en relief trois grandes différences entre grands groupes industriels et startups:
- Les grands groupes tendent à fonctionner avec une échelle d’excellence opérationnelle fixe, là où une startup a besoin d’être flexible. Nous l’avons vu, plus haut, à propos de la production des machines financées par crowdfunding.
- Le développement de la première version de la D-Vine a permis de déclencher beaucoup d’enthousiasme (effet waouh) chez les premiers utilisateurs. Mais il a fallu ne pas suivre les habitudes acquises dans l’industrie, où les premières versions doivent être irréprochables. “J’avais honte de la première machine”, nous a dit Thibaut Jarrousse, citant Reid Hoffman, co-fondateur de LinkedIn. En réalité, l’effet waouh suffit pour obtenir un premier retour.
- La capture de ce premier retour des utilisateurs et clients est crucial, car c’est lui qui permet d’orienter de manière efficiente le développement de la machine. Comment savoir ce qu’il convient d’ignorer, et ce qu’il faut absolument améliorer ? Les problèmes identifiés en amont ne sont pas toujours ceux qui retiennent l’attention des clients ! Autre problème délicat : quels clients écouter ? Pour 10-Vine, le choix s’est porté sur les professionnels.
Le principal avantage dont dispose une startup est sa capacité à aller et réagir plus vite. L’échelle de temps dans un grand groupe n’est pas la même, et ralentir son rythme pour tout « miser » sur un seul grand partenaire est dangereux.
« Nos meilleures collaborations avec des grands comptes sont commerciales, les autres sujets (R&D, mutualisation …) doivent à mon sens venir éventuellement dans un second temps, et pas l’inverse… » — Thibaut Jarrousse, Fondateur, 10-Vins
Conclusion
Aujourd’hui, le succès de la D-Vine a conduit l’entreprise à hésiter à se lancer sur le créneau de la vente à emporter (très stimulée ces derniers temps en raison de la crise sanitaire) : faut-il ou non risquer de ternir l’image de marque de la D-Vine utilisée par les restaurateurs ? Mais le fait de se poser la question prouve que l’entreprise a réussi à s’imposer et à tracer une perspective dans le vaste espace du future of food.
Nous avons ainsi vu que l’innovation de rupture peut fonctionner dans un domaine de luxe, et qu’un moyen sûr pour y parvenir est de focaliser l’effort de l’entreprise sur un segment bien défini (ici le BtoB), en se donnant les moyens de réussir (force commerciale, financement des ventes). En faisant ses armes commerciales, une startup donne de la traction à son innovation de rupture, et conforte sa position vis-à-vis de tous ses partenaires.
Bonjour Jacques et Albert,
Bravo pour cet exercice de prospective du futur de l’alimentation.
*+ Le segment retenu des vins et alcools est le premier exportateur des industries agro-alimentaires françaises devant celui des céréales car les vins, alcools et spiritueux y sont répertoriés en IAA aujourd’hui mais pourraient être logés en industrie de la santé si la valeur fiscale enregistrée de l’éthanol de bouche venait à être substituée par des extraits de cannabis psychotropes comme la DHC , candidate possible à l’innovation de rupture suggérée. D’autres modèles de consommation alimentaires à forte rentabilité,incluant ou non les produits de luxe sont ils cependant envisageables ?
Les besoins de consultance stratégique RD de l’industrie alimentaire française ou internationale peuvent-ils aussi être illustrés par celui de la consommation de la viande tel que vous l’illustrez ?
*++ Pour y répondre je vous propose le regard croisé de Fleury Michon un des leaders de la charcuterie industrielle française qui commente par son ancien directeur marketing David Garbousse le dilemme des produits alimentaires ultra transformés dans le film documentaire d’Arte intitulé «la-grande-malbouffe ». Ce film illustre votre propos sur les apports de la transparence et de la prise en compte de la valeur nutritive des produits alimentaires industriels ultratransformés grâce à la production industrielle comparée du cordon bleu de dinde Label Rouge ou de cordon bleu de viandes anonymes ultratransformées et conforme au droit alimentaire communautaire dans un établissement TPE de Licques ( Pas de Calais). Lien source :
https://www.arte.tv/fr/videos/091150-000-A/la-grande-malbouffe/
Je suggère par cet exemple d’inclure des nouvelles disciplines scientifiques à votre grille d’analyse prospective de l’alimentation comme l’ethnologie et l’anthropologie de l’alimentation à adosser à la physiologie médicale de l’alimentation humaine et animale pour systématiser la complexité du sujet d’innovation de rupture alimentaire à résoudre. Les registres des urgences hospitalières renseignent en particulier sur les carences nutritionnelles imposées et parfois mortelles pour les nourrissons que s’imposent des consommateurs de substituts de viande.
Bien à vous,
Michel Serpelloni
Merci Michel je vais regarder cela
Bravo pour cette start up !
Pourquoi ne pas s’allier à un vendeur de matériel pour la vinification tel Pellenc, qui a un rayonnement mondial ?
Contacter Damien DEBUF
Cette innovation pourrait peut-être sa ppliquer à d’autres secteurs de la boission ou bien des liquides (huiles végétales?)
Cdlt
H Mercat