Introduction
Un peu plus d’un mois après la sortie de mon article l’an passé sur Renault intitulé Renault : capable de tout, Carlos Ghosn fut arrêté par la justice japonaise puis inculpé pour dissimulation de revenus. Ce changement dénote une indiscutable fragilisation de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi (RNM). En un an le cours de l’action Renault a baissé d’environ 30%.
(source : Google Finance)
Au-delà de ce choc, un certain nombre d’autres développement méritent d’être relevés et interprétés en appliquant la clé d’analyse de l’organisation ouverte, développée par Presans.
1. Stratégie de plateforme : maintenir l’alliance, s’établir comme acteur de la mobilité
Dans le contexte de l’industrie automobile, la notion de plateforme doit être traitée selon deux aspects : l’aspect plateforme de construction et l’aspect plateforme de mobilité.
Commençons par l’aspect plateforme de construction. L’industrie automobile continue dans l’ensemble d’être un marché saturé dont les acteurs se surveillent en espérant ne pas finir sous la table avant les autres. L’alliance RNM permet à Renault de figurer dans le top 4 des constructeurs mondiaux. Même si cette alliance est fragilisée, les synergies de plateformes industrielles qu’elle rend possible peut justifier son maintien sur une base renégociée.
Cependant Renault examine actuellement une offre de fusion émanant de Fiat-Chrysler, un groupe qui retarde sur le véhicule électrique et n’a pas réussi son implantation sur le marché chinois, contrairement à Nissan. Fiat-Chrysler est tellement en retard en matière d’émissions qu’il paye actuellement des centaines de millions de dollars à Tesla afin de pouvoir intégrer ses véhicules au bilan carbone de constructeur américain, et ainsi ne pas avoir à payer des amendes se chiffrant en milliards de dollars.
Il serait question d’opérer la fusion entre Renault et Fiat-Chrysler et de réduire la part du capital du capital de Nissan détenue par Renault, afin de rendre cette fusion acceptable pour Nissan.
Pour ce qui est de l’aspect plateforme de mobilité, notons en particulier la maturation progressive de l’offre de mobilité partagée proposée par la filiale du groupe Renault Mobility. Cette offre est notamment visible sur le site https://www.renault-mobility.com. À première vue et sans préjuger de la réalité effective de l’expérience de location, et du niveau de disponibilité des véhicules, cette offre semble compétitive à Paris, comparée aux offres d’autopartage existantes. La motorisation électrique semble bel et bien réduire le coût de la mobilité pour l’utilisateur, en plus de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Affaire à suivre (d’ailleurs nous en reparlons dans la troisième section).
Renault Mobility a par ailleurs mis en place un partenariat avec IKEA ainsi que la poste hollandaise.
2. Aspirational Purpose : ligne inchangée
La mission inspirante de Renault ne change pas fondamentalement. Il s’agit toujours d’un constructeur fier de sa capacité à concevoir en fonction du coût (design to cost) pour produire des voitures performantes, accessibles et innovantes.
Par ailleurs, pour ceux qui mettraient en doute la passion automobile qui anime le groupe, signalons que depuis le mois de juillet, Alain Prost passe de Consultant à Directeur non exécutif de Renault F1 Team.
3. Talent à la demande & écosystème : réagir à la disgrâce du diesel, trouver les bons partenaires pour développer la mobilité
La politique d’ouverture maîtrisée de Renault reste en place. L’un des problèmes actuels auquel doit faire face l’ensemble de l’écosystème de la construction automobile touche à la défaveur qui entoure maintenant les moteurs diesel. Les nouvelles normes environnementales pénalisent les moteurs diesel, ce qui affecte négativement l’ensemble de l’écosystème de la construction automobile. Ce dernier a depuis longtemps investi dans le perfectionnement de cette technologie et vit ce changement de cap dans la douleur. Ce problème touche aussi Renault et ses ingénieurs spécialisés dans les moteurs diesel.
Le développement de la plateforme de mobilité de Renault passe par la mise en place de partenariats avec des acteurs spécialisés. Renault travaille en ce sens notamment avec la société Vulog pour équiper les modèles Zoé en autopartage dès leur sortie d’usine. Patrick Pelata, ancien numéro deux de Renault, est membre du conseil d’administration de Vulog.
4. Data-driven : gare à la dépendance aux géants de l’Internet
Il convient de noter la généralisation du rôle joué par Apple (Carplay) et de Google (Android Auto) dans la transformation des voitures en voitures intelligentes. La plupart des constructeurs travaillent avec l’un ou l’autre géant de l’Internet pour permettre aux conducteurs de connecter leur smartphone avec leur véhicule.
Les véhicules conçus par l’alliance RNM fonctionnent avec le système Android. Dans la perspective du véhicule autonome, il est possible qu’Apple et Google décident au moment de leur choix de faire payer l’utilisation de leurs systèmes de cartographie. Un consortium allemand composé de BMW, Daimler et Audi a ainsi fait le choix d’acquérir intégralement un système de cartographie détenu par Nokia.
5. User-centric & Functional : au-delà de la plateforme de mobilité, quelle stratégie pour développer une marque premium ?
Un succès de la plateforme de mobilité Renault irait très clairement dans le sens de la fonctionnalisation de l’offre des groupes industriels. Il est cependant trop tôt pour savoir si Renault possède sur ce marché en plein essor des avantages concurrentiels sur d’autres constructeurs. Car, bien évidemment, la plupart des constructeurs ont compris l’enjeu de ce nouveau modèle économique, et la concurrence s’annonce rude.
L’an dernier, nous notions que le caractère fonctionnel de la voiture n’efface pas son rôle de marqueur social. L’aspect marqueur social peut lui aussi affecter les choix des consommateurs de mobilité. En tout cas, mieux vaut l’intégrer dans l’équation de sa killer app, entre autres facteurs.
Parmi les grands constructeurs, Renault figure en tant que pionnier du véhicule électrique. La nouvelle Zoe se vend actuellement très bien sur les marchés européens. L’objectif est de proposer huit modèles à des prix abordables d’ici 2022, de proposer des utilitaires électriques ainsi qu’un réseau de recharge performant. Cependant la concurrence rattrape son retard et proposera à terme des modèles susceptibles de concurrencer la gamme des véhicules électriques Renault (actuellement : Twizy, Fluence, Kangoo, Zoe). À long terme, l’absence de force de frappe dans le segment premium constitue un problème que l’innovation ou l’implantation géographique ne peuvent que partiellement compenser.
Conclusion
La situation de Renault ne paraît pas stabilisée. La défiance risque de continuer tant qu’il n’y aura pas de perspective ferme sur le devenir de l’alliance RNM.
Nous notions l’an passé qu’un modèle Kwid électrique (nom officiel : City K-ZR) était en développement pour le marché chinois. Il devrait être lancé sur le marché par la joint venture eGT New Energy Automotive, issue de l’alliance RNM et de Dongfeng, d’ici la fin de l’année. Avec une distribution et un marketing efficaces, ce modèle pourrait trouver un large public. Le succès de ce modèle serait une façon de renouer avec les triomphes historiques de la marque au losange.