Au moment où le gouvernement français discute un nouveau projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, contenant des mesures visant les plastiques, il n’est pas inutile de prendre un peu de recul sur le processus global par lequel se constitue et se révise l’agenda industriel du plastique.
Un projet de loi relatif à la lutte contre gaspillage et à l’économie circulaire fait actuellement l’objet de commentaires en préparation de l’examen du texte par l’Assemblée Nationale en septembre. Jugé insuffisamment contraignant par les uns et trop unilatéral par les autres, il vise notamment une extension à de nouvelles filiales de la Responsabilité Étendue des Producteurs (REP), conformément au rapport Vernier remis au Gouvernement en mars 2018.
Cet article n’est pas un commentaire de ce texte, mais cerne de manière plus concrète le cadre systémique dans lequel s’élabore et évolue un agenda industriel tel que celui des matières plastiques. Trois questions me paraissent ici essentielles :
- Qui sont les acteurs dans le processus d’élaboration de l’agenda industriel du plastique ?
- Quel est leur langage commun ?
- Quelle est l’origine de la notion de REP ?
I. Trois catégories d’acteurs
Trois catégories d’acteurs jouent un rôle clé dans l’élaboration de l’agenda des plastiques : les industriels, les mouvements de protection de l’environnement, et les autorités publiques. À ces trois catégories viennent s’ajouter les consommateurs, les cabinets de conseil ou les éco-organismes, entre autres. Les rôles moteurs des trois premières catégories méritent cependant d’être examinés en premier.
a) Les industriels
La production à grande échelle de plastiques remonte au début des années 1950, même si l’histoire des matières plastiques commence au dix-neuvième siècle. Le marché le plus important pour les plastiques est celui de l’emballage, par essence à usage unique. Aujourd’hui, les déchets plastiques non biodégradables s’accumulent et contaminent l’environnement naturel.
La caractéristique principale des industriels est qu’ils sont orientés par le profit, c’est-à-dire que les activités industrielles doivent leur existence à un calcul de rentabilité sur un horizon de temps variable selon le secteur, mais n’excédant souvent pas cinq ans. Toutes les autres considérations sont subordonnées au critère du profit : s’il n’est pas possible de dégager un profit, l’activité n’a pas de raison d’être. Le profit peut être compris comme une condition nécessaire de l’activité, mais pas forcément comme une condition suffisante. La mission d’une entreprise industrielle inclut au moins implicitement le profit, mais peut également s’inscrire dans d’autres perspectives. Par essence, le profit est une grandeur qui permet de guider les investissements d’une entité faisant partie du système économique, mais non le système économique lui-même dans son ensemble.
Cependant les filières industrielles possèdent aussi des organisations représentant l’ensemble des acteurs, notamment pour pouvoir peser dans les arbitrages de l’Etat. Dans le cas des filières liées au plastiques, citons PlasticsEurope, Elipso, ou la Fédération de la Plasturgie et des Composites.
b) Les mouvements de protection de l’environnement
Je critique en passant le phénomène Greta Thunberg dans un autre article, mais il faut reconnaître qu’il y a quelque chose de profondément logique dans son existence. Emmanuel Macron voulait des héros européens et n’avait pas hésité il y a quelques années à rendre hommage à Jeanne d’Arc—qui s’en souvient ?—, eh bien je crois qu’il serait fair play de reconnaître qu’il avait bien senti les besoins psychologiques de notre époque sur ce coup. J’irais même plus loin en notant que la rapidité, pour ne pas dire la précipitation avec laquelle certains évêques allemands, et entre-temps également le Pape, se prononcent publiquement sur le caractère prophétique et l’éminence de la mission de Greta possède, elle aussi, un caractère logique. En effet, une idée catholique importante est que les oeuvres peuvent, dans une certain mesure, réduire le poids des péchés individuels, par exemple par l’achat d’indulgences. C’est une idée que l’on retrouve, sous une nouvelle forme, dans les mouvements de protection de l’environnement : c’est à chacun de contribuer par le don de ressources et par des actions à racheter à la fois ses péchés environnementaux et ceux des autres, et ce à l’échelle globale.
La Ellen MacArthur Foundation et Zero Waste sont des organisations de défense de l’environnement dont les analyses et propositions en matière d’économie circulaire concernent directement la problématique du plastique. De façon générale, la perspective des environnementalistes est dominée en dernière analyse par la recherche d’une influence sur les mentalités, mais aussi sur les décisions politiques.
c) Les autorités publiques
L’Union Européenne a compris que personne ne pouvait couper son accès à son propre marché, ni l’empêcher de couper l’accès des pays extérieurs à son marché. De la compréhension de ce point découlent des conséquences majeures, rarement mentionnées par les nostalgiques de souveraineté nationale. En particulier, la capacité de créer et de modifier le cadre réglementaire dans lequel doivent opérer les entreprises industrielles est un levier d’influence qui ne se limite pas à la sphère européenne. C’est ainsi qu’il convient d’entendre les expressions qui mobilisent les notions de “valeurs européennes”, de “puissance normative”, ou de “puissance du droit”.
C’est au fond la même idée que celle qui a guidé la France pendant les années 1980, lorsqu’il s’est agi de créer de nouvelles règles pour les marchés financiers globalisés. De même, il convient de faire le rapprochement avec la stratégie du Gouvernement français actuel en matière de données et d’intelligence artificielle, qui vise à réguler l’activité des titans du web avant tout en informant le consommateur français et européen des conséquences de ses choix. Il s’agit au fond d’utiliser le poids du marché européen pour transformer le reste du monde, en conditionnant l’accès à la conformité réglementaire.
Dans le domaine de l’économie circulaire et de l’économie du plastique, l’Union Européenne a notamment voté l’interdiction des plastiques jetables ou à usage unique en 2021. Le projet de loi actuellement à l’examen transpose l’obligation inscrite dans la Directive européenne sur les produits à usage unique, qui impose notamment l’incorporation de 25% de plastique recyclé dans les boissons en PET d’ici 2025, et de 30% dans toutes les bouteilles en plastique pour boissons d’ici 2030.
II. Le langage commun des acteurs
La protection de l’environnement mobilise des notions telles que l’épuisement des ressources, le gaspillage, ou encore l’externalité économique. Quels rôles ces différents notions jouent-elles dans la constitution d’un agenda de réforme industrielle ?
C’est l’idée de finitude des ressources qui constitue la première idée écologique. Elle survient au cours des années 1970, au terme de plusieurs décennies de croissance rapide de l’économie. C’est cependant à ce moment que se déclenche une crise du pétrole, d’origine politique. D’un coup, il a fallu prendre des mesures pour réduire le gaspillage et augmenter l’efficience des processus productifs.
Celles et ceux qui ont suivi un cours d’économie dans leur vie savent que le modèle économique standard de concurrence parfaite pose diverses hypothèses plus ou moins héroïques ou surprenantes. Parmi elles, celle de l’absence d’externalités dans le système. Une externalité est un facteur d’utilité, positif ou négatif, déterminé par les choix d’un autre agent. Par exemple, la pollution émise par une usine est un facteur négatif pour les utilisateurs d’une rivière polluée par l’usine. On peut généraliser : la pollution en général relève de cette catégorie de l’externalité, dont le champ d’application pourrait même être significativement étendu en prenant en compte les actions de plusieurs générations d’agents. Identifier des externalités non prises en compte par le système de prix des marchés constitue la première étape dans un projet de modification de l’agenda d’un système industriel. La seconde étape consiste à chiffrer le coût des externalités négatives. La troisième étape consiste à créer un système d’incitations conduisant vers le nouvel état souhaité. La notion d’externalité joue donc un rôle structurant pour tous les acteurs d’un agenda industriel tel que celui du plastique.
Les incitations peuvent prendre par exemple la forme d’un marché de droits à polluer. Mais elles tendent aujourd’hui à viser la création d’une économie circulaire, fondée sur une éco-conception de la chaîne de valeur. Ce point nous conduit vers la notion de responsabilité élargie du producteur.
III. L’origine de la Responsabilité Élargie du Producteur
La REP consiste à rendre le producteur initial co-responsable de l’impact de son produit sur l’environnement. L’origine de la notion de Responsabilité Élargie du Producteur (REP) est généralement placée dans les travaux de l’OCDE à partir du début des années 1980. Cependant je vais ici m’aventurer à émettre l’hypothèse que c’est l’Allemagne qui est à l’origine du succès de cette notion, du moins dans le cadre de l’Union Européenne. Cette hypothèse est inspirée par le fait que ce pays a mis en place une loi sur l’élimination des déchets dès 1972, et n’a cessé depuis de placer la barre de l’économie circulair de plus en plus haut. Notamment en posant dès 1994 la responsabilité des producteurs et l’obligation de reprise des déchets, dans le cadre d’une loi sur l’économie circulaire. Plutôt que d’adopter des mesures dirigistes d’interdiction de certains emballages, le ministère de l’environnement a proposé une solution de marché, basée sur l’idée que les producteurs ne s’intéressent à la prévention et au recyclage des déchets que dans la mesure où ils doivent eux-mêmes assurer ces fonctions. Ils sont alors incités à rendre l’élimination efficiente. Pour la première fois, la responsabilité du producteur inscrite dans la législation sur les déchets a eu les résultats escomptés. Cette expérience a également permis l’importance en amont de la conception du produit pour le recyclage et la reprise. Là où la responsabilité du producteur est posée, les produits tendent à être conçus de manière à prendre en compte non seulement les besoins du commerce et des consommateurs, mais également les problèmes d’élimination ultérieurs.
Conclusion
Chacun des trois acteurs doit bien jouer son rôle pour que le système fonctionne. Les industriels doivent viser l’efficience dans le cadre de contraintes fixées par l’autorité publique. Les défenseurs de l’environnement doivent combiner une approche scientifique des problèmes écologiques avec une mission et des personnalités inspirantes. L’autorité publique, notamment en Europe, doit enfin prendre garde de ne pas formuler des normes techniquement irréalistes. En effet, de telles contraintes rendraient impossible l’activité des industriels européens.
Ainsi, c’est en ayant à l’esprit toute l’importance de développer une vision systémique des problèmes que Presans lance actuellement une Synergy Factory sur le sujet de l’avenir du plastique.
Il doit y avoir une erreur sur le lien ou Greta est « critiquée ». Le lien « repenser le plastique » ne dit qu’une ligne sur Greta: qu’elle est jeune; mais rien sur son message: écouter les scientifiques. Au contraire l’article irait dans ce sens. Cdmt
Cher François, j’apprécie beaucoup votre « commentaire ». Effectivement, Greta est jeune, mais importante aussi, ce qui explique sa présence dans le lien. Je pense comme vous qu’il convient en général de prêter écoute aux scientifiques. Bien à vous, Jacques