Paris en l’an 2131. Victoire visite un vieux et beau palais avec des amis. Ensemble ils chassent des objets virtuels révélés par une application de réalité augmentée. L’histoire du lieu se révèle à eux, sous la forme d’un jeu, sous le Soleil d’un pays du Sud.
Mais Victoire n’est pas réellement dans un palais ni dans un pays du Sud. Pourquoi se déplacer quand il est possible d’effectuer une visite virtuelle avec ses amis ? Leur présence physique est parfaitement simulée. Leurs interactions sont pleines d’énergie positive.
De même, Victoire travaille dans un monde virtuel. Peu importe que le code informatique qu’elle contribue soit écrit dans un bureau où dans un cocon de survie… Un cocon de survie économiquement et écologiquement optimisé. On y vit longtemps et bien.
Victoire sait qu’elle est immergée dans un monde virtuel. Souvent elle n’y pense plus. Elle se demande parfois si les lieux historiques qu’elle visite virtuellement existent réellement, si l’histoire de ces lieux est véridique. Mais après tout elle ne se sent pas seule, et elle n’échangerait pas son accès à une réalité virtuelle pour une existence prisonnière des vicissitudes du monde réel… la planète est devenue un endroit très dangereux, hors des cocons urbains intelligents qui abritent une minorité d’humains privilégiés.
Elle débranche, de temps à autres. Elle est libre de le faire, après tout. Ce n’est pas le cas de tous… la liberté de se débrancher est donnée aux cerveaux productifs. Pour les individus jugés peu productifs, inemployables, voire nuisibles, c’est une autre affaire. Ceux-là sont placés dans des cocons intrusifs qui fonctionnent en continu. Ils y mènent une existence entièrement virtuelle. Une situation jugée compatible avec leur dignité humaine : leur vie virtuelle est conçue pour fournir toute la palette des expériences, des émotions et des progressions d’une vie humaine réelle.
Naturellement, il existe encore une économie réelle. Les services réels de proximité constituent cependant un luxe, car les contacts physiques sont devenus rares et chers. Une fois par an, Victoire va au restaurant pour retrouver ses amis virtuels, pour ne pas se sentir complètement domestiquée par son cocon intelligent. La ville intelligente dans laquelle vit ce groupe est opérée par un groupe industriel dirigée par Elon Musk, maintenant âgé de 160 ans. Il y a longtemps, Musk a fini par tirer la conséquence de sa philosophie de la simulation : plutôt que d’aller sur Mars, il a investi sa fortune dans la création d’un système virtuel interactif et immersif. Celui dans lequel Victoire a la chance de travailler et de vivre.
Tous sont d’accord pour dire que l’humanité aura finalement su échapper au pire… et pourtant, ce n’était pas gagné, tant le potentiel dystopique de la réalité virtuelle semblait abyssal. N’allait-elle pas accentuer avec certitude toutes les tendances dystopiques déjà à l’œuvre dans les années 2010… certains craignaient alors que le monde soit transformé en poubelle habitée par des humains résiduels branchés en continu sur leur casque VR — l’évolution du monde réel a heureusement suivit un cours différent, se dit Victoire.
Reste le sentiment, difficile à expliquer, de quelque chose de manquant. Il n’y a plus de familles, ni d’enfants, ni même de mort dans la simulation de Victoire et de ses amis… à vrai dire, ils ne savent pas trop d’où ils viennent, leurs souvenirs sont trop changeants sur ce point pour être sûrs. Lors des dîners annuels, chacun fait de son mieux pour éviter le sujet.
Quand elle se débranche, Victoire rêve parfois qu’elle ne reconnaît pas ses amis.