Notre Fellow Optique Philippe Aubourg, ancien Président de la Société Française d’Optique, revient sur la carrière de Gérard Mourou, prix Nobel de physique 2018.

La création d’un champ électrique local intense ultime est le fil directeur de la carrière de Gérard Mourou, prix Nobel de Physique 2018, prix qu’il partage avec Donna Strickland et Arthur Ashkin.

Pour parvenir à ce Graal, le laser à impulsions brèves était le point de départ évident, mais comment amplifier la puissance de son faisceau sans endommager ou détruire les composants amplificateurs soumis à ces champs intenses ? Gérard Mourou imagine alors une méthode innovante : le CPA (pour Chirped Pulse Amplification ou Amplificateurs à dérive de fréquence). Il s’agit d’allonger dans le temps une impulsion laser brève en profitant de ses caractéristiques de fréquence et donc d’en diminuer la puissance instantanée ce qui permet de l’amplifier sans dommage dans un cristal laser, puis de la recomprimer pour retrouver sa durée initiale.

Cette avancée primordiale dans la technologie du laser a permis de relancer en 1985 la course à la puissance qui stagnait depuis plus de dix ans. Le langage évolue : partant du Térawatt, passant par le Pétawatt, l’Exawatt voire le Zettawatt arrive pour parler puissance. Pour la durée d’impulsion, même évolution : picoseconde, femtoseconde, attoseconde….

Gérard Mourou a mené ses travaux d’abord à Rochester puis à l’Université du Michigan à Ann Arbor. Beaucoup de thésards de son laboratoire, venus du monde entier (beaucoup de Français !) sont devenus par la suite des femmes et des hommes clés dans la diffusion des lasers intenses dans la recherche et l’industrie. Convaincu de la nécessité de la collaboration recherche-industrie, il a très tôt aidé à la création de Medox inc., première société commerciale à proposer le T-cube (Terawatt Table Top laser) en collaboration avec Quantel . Puis, en France, ce sont Thales-lasers et Amplitudes qui se sont lancés avec succès dans l’aventure du laser femtoseconde.

Un rapide examen des prix Nobel de Physique passés confirme que les collaborations recherche-industrie sont de fait souvent associées à la réussite des chercheurs. Une réalité qui sert d’inspiration à de nombreux acteurs de l’innovation industrielle, tels que la plateforme Presans. Pour la petite histoire, rappelons que le prix Nobel de physique 2007, Albert Fert, avait choisi de récompenser le projet d’entreprise d’Albert Meige par le Prix de l’innovation de l’École Polytechnique en 2008. Albert Fert menait et mène toujours ses recherches dans le cadre de l’unité mixte de physique CNRS/Thales.

Mais revenons aux lasers de Gérard Mourou. Les lasers à impulsions brèves sont actuellement utilisés en ophtalmologie pour la chirurgie de la cornée, en usinage industriel de précision. Ils ont également permis de progresser très rapidement dans de nombreuses disciplines de la physique, de la chimie ou de la biologie.

Au-delà de ses passions pour la montagne, la musique et les champs ultra-intenses, Gérard Mourou sait l’importance de la collaboration internationale pour imaginer et réaliser de grands projets scientifiques. Dès son retour en France en 2005, il a pris en charge le LOA (Laboratoire d’Optique Appliquée – laboratoire commun ENSTA Paristech, CNRS et école Polytechnique), puis il a initié 3 grands projets collaboratifs. Deux de ces projets sont en France : XCAN à l’école Polytechnique et le laser Apollon à Paris-Saclay. Le troisième est le projet Européen ELI (Extreme Light Infrastructure).  Cette infrastructure laser de puissance unique au monde, dédiée à la physique de l’extrême, accueillera les 3 lasers les plus intenses au monde en Hongrie, Roumanie et Tchéquie.

En parfait visionnaire, Gérard Mourou est aussi directeur de l’International Center for Zetta-Exawatt Science and Technology (IZEST). Regroupant une trentaine de laboratoires dans le monde, ce centre imagine et anticipe ce que sera le futur des lasers de haute puissance et de leurs applications. On y parle aussi bien de Protonthérapie que de polarisation du vide.

 

Biographie

Gérard Mourou, né le 22 juin 1944 à Albertville (Savoie), est un physicien français qui s’est investi dans le domaine des champs électriques et du laser. Il est le co-inventeur d’une technique d’amplification par dérive de fréquence qui fut utilisée pour créer des impulsions ultracourtes de très haute puissance (de l’ordre du térawatt) dans les lasers à impulsions. Il reçoit pour cette invention, conjointement avec Donna Strickland, le prix Nobel de physique en 2018.