Compte-rendu d'un événement organisé le 3 septembre 2018 par le Club Aéronautique, Défense et Sécurité d'HEC Alumni, à l'initiative de Jérôme Bouquet, membre du board.

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Créé en 2000, Thales trouve son origine dans l’entreprise Thomson-CSF fondée en 1968. Le groupe est aujourd’hui leader des équipements électroniques pour les secteurs de la défense, de l’aéronautique, et de la sécurité. Le chiffre d’affaire du groupe se décompose en deux parts égales : une part d’activités pour le secteur civil, une part d’activités pour le secteur défense.

Pour des raisons que nous avons examinées dans notre article La DARPA, le F-35, et le retour de la Russie, l’innovation reste actuellement plus vive dans le secteur civil que dans le secteur militaire. L’un des enjeux majeurs pour un groupe tel que Thales consiste par conséquent à s’ouvrir à la transformation digitale portée par l’économie civile.

Il convient en fait de distinguer deux niveaux d’innovation :

  • Le niveau de la transformation digitale, qui délivre des améliorations s’ajoutant à des produits-systèmes plus structurants. Exemple : l’amélioration de la performance d’un système de radar grâce à la reconnaissance aérienne automatique via un réseau neuronal convolutif.
  • Le niveau des produits-systèmes, plus structurants.  Exemples de tels systèmes : avion de combat, système de radar.

Dans le cas de Thales, le plan de transformation digitale de l’entreprise a pris pour nom la Digital Factory. Lancée en 2017 avec un budget de 150 millions d’euros sur trois ans, son déploiement est dirigé par Olivier Flous, VP Transformation digitale et Digital Factory de Thales. L’organisation comporte actuellement 220 personnes.

La vision de l’organisation de la transformation digitale d’Olivier Flous se fonde d’abord sur la perception d’une nouvelle révolution technologique, où la connaissance et la donnée remplaceraient le rôle de l’énergie dans les révolutions précédentes.

Cette transformation de l’infrastructure technologique de la société entraînerait d’une part, une transformation de l’offre de produits et services :

Et, d’autre part, une transformation des modes de travail :

Discutons rapidement les cinq attributs sur lesquels s’appuierait la transformation digitale de l’offre marchande. Le premier attribut est la « Amazing User eXperience » (AUX), qui consiste à mettre au centre de la conception l’utilisateur final. Le second attribut, « Value from data », consiste à bâtir la proposition de valeur d’un service sur la donnée. Le troisième attribut, « Product as a service » permet de vendre l’usage d’une fonction, sous-tendue par un actif matériel tel qu’un système de détection radar, sans besoin de transférer la propriété de l’actif sous-jacent. Le quatrième attribut, « Active partners ecosystem », permet de mobiliser les ressources d’une multitude d’acteurs externes à l’entreprise. Enfin, le cinquième attribut, « Digital technologies », consiste à devenir l’ « acteur de plateforme de référence ».

Le lecteur avisé d’open-organization.com aura reconnu les principaux attributs de l’organisation ouverte :

  • Amazing user eXperience & Product as a Service ~ User-Centric Functional
  • Value from data ~ Data-driven
  • Active partners ecosystem ~ On-Demand Talents
  • Digital Technologies ~ Platform strategy

L’attribut de la mission inspirante (Aspirational Purpose) reste implicite dans le schéma d’Olivier Flous.

Dans le cas des cinq facteurs qui détermineraient la transformation digitale des modes de travail, il ne s’agit en partie de l’envers des attributs précédents, en particulier concernant les facteurs #1, #2, et #4, « User eXperience obsession », « Digitized and data-driven processes » et « End-to-end value chain integration ». Pour ce qui concerne les deux autres aspects, il s’agit de spécifications de l’organisation du travail : méthode agile et accès fluide à l’expertise.

On retrouve sans mal dans cette articulation un certain nombre de convergences avec la vision esquissée par Albert Meige lors de sa conférence sur le travail en 2033.

Un certain nombre de principes se dégagent de cette vision :

  • « Users, not customers », une formule qui prend tout son sens lorsque les utilisateurs sont des soldats déployés sur le terrain, tout à fait distincts des experts travaillant à la Direction Générale de l’Armement.
  • Délivrer des MVP (minimum viable product) dans des délais réduits, en l’occurence moins de quatre mois, conformément à la méthodologie Agile.
  • Puiser dans l’écosystème des incubateurs de startups tel que la Station F.
  • Construire pour évoluer, plutôt que pour durer, et du même coup, gérer un écosystème de clients dans la continuité plutôt qu’en mode chasse aux appels d’offre.
  • Placer la cyber-sécurité au cœur du service, en s’appuyant sur la culture forte de Thales dans ce domaine.

Olivier Flous a conclu sa présentation en faisant le tour de quelques réalisations prometteuses, comportant notamment un « Uber des drones », et divers systèmes de gestion du trafic aérien ou autre.

Les questions ont, comme souvent lorsqu’il est question de transformation digitale dans l’industrie, porté sur les perspectives de la guerre actuelle des plateformes digitales industrielles, ainsi que sur le rôle de la négociation dans l’attribution de la propriété des données.

Nous prévoyons d’approfondir notre compréhension de l’approche proposée par Thales de la transformation digitale et de l’organisation ouverte.