Un brin de perspective critique

L’article récent de Karl Aiginger (cliquez ici pour la version en allemand) sur le système d’innovation français apporte un point de vue tranché sur une question rarement posée de façon aussi directe : les performances de ce système sont elles satisfaisantes? Selon l’économiste autrichien, la réponse est négative en raison de facteurs dépassant le cadre de l’innovation et qu’il importe de ne pas séparer du contexte socio-économique propre à la France.

Un tel jugement se fonde en résumé sur la lecture suivante des indicateurs de performance :

  • La part des dépenses de R&D stagne autour de 2% du PIB, et l’objectif de 3% pour 2020 manque d’ambition pour un pays riche.
  • La part du PIB des dépenses d’éducation est en baisse, alors même que la France se situe dans la deuxième moitié du tableau dressé par PISA.
  • La France se situe au onzième rang du European Innovation Scoreboard.
  • La France se situe au quatorzième rang en Europe en termes de part du PIB de l’industrie, avec une balance commerciale en voie de dégradation.

L’investissement dans le système d’innovation resterait ainsi trop faible, en dépit de nombreuses réformes allant dans le bon sens. Karl Aiginger identifie les obstacles suivants au succès de ces dernières :

  • Les réformes ne parviennent pas à s’affranchir de l’ancien système d’innovation.
  • Les réformes se heurtent à des facteurs socio-économiques défavorables dépassant le cadre du système d’innovation : économie peu concurrentielle, fermeture à la mondialisation, engagement à reculons dans le développement durable.

Il propose en conclusion de s’inspirer du « modèle nordique » pour tirer l’innovation française vers le haut.

Malaise dans la culture?

Que penser de cette critique germanique du système économique français, qui contredit son image pro-innovation à l’étranger?

Pour commencer, il serait faux d’affirmer que les français se montrent incapables de formuler des critiques similaires. Leur prise de conscience des problèmes du système d’innovation est croissante. Il importe également de rendre justice aux progrès accomplis. La France ne s’est-elle pas déjà largement dotée d’outils stratégiques permettant l’amélioration progressive d’un système d’innovation complexe, comme en témoignent les publications de l’ANRT et de FutuRIS?

Les études récentes sur le management de l’innovation en France réalisées par des cabinets de conseil tels que PwC (2010) ou Bluenove (2011) ne suggèrent-elles pas d’autre part qu’une évolution des mentalités favorable en particulier à l’innovation ouverte a eu lieu au sein des entreprises? Il s’agirait d’un changement significatif dans la mesure où l’ancien système d’innovation français est un bel exemple d’innovation fermée. Nous avons déjà évoqué l’adoption par certaines entreprises françaises d’instruments de veille et de corporate venturing correspondant à une stratégie d’innovation ouverte axée sur la gestion d’un écosystème d’innovation.

Au sein de ces rapports affleurent pourtant, en marge des analyses et des préconisations, les obstacles au changement liés à la culture, souvent reconduits au syndrome NIH (Not Invented Here) de la fonction R&D. La lecture de Karl Aiginger peut amener à davantage s’intéresser au fait que les problèmes français de culture d’innovation ne se circonscrivent sans doute pas aux départements de R&D.

*

Pour tenter d’aller plus loin, nous pouvons prendre appui sur une anecdote. Un consultant spécialisé dans le développement durable nous affirmait ainsi récemment que le marché du conseil en management de l’innovation n’était guère développé en France. Dans les autres pays oui, sans doute… mais pas en France. Portons donc dans un prochain billet notre attention sur ce qui se fait ailleurs, en espérant tirer de cet examen quelques leçons instructives, y compris pour le système d’innovation français.

*

Note : L’illustration utilisée ci-dessus  est sous licence Creative Commons ; elle est disponible ici.