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L’exercice qui consiste à lever les yeux et à tenter de discerner des contours dans le brouillard du futur est indispensable, même si on doit rester circonspect et critique sur les conclusions qu’on en tire. Il n’empêche que tout incertain que soit l’avenir, il est bon de faire des choix. En stratégie de l’innovation plus que jamais, une mauvaise décision est bien supérieure à pas de décision du tout. La commission Lauvergeon a eu grandement raison de faire des choix même si dans le fond beaucoup d’experts seront déçus de ne pas y retrouver explicitement leurs secteurs d’opportunité favoris.

J’ai moi-même été un peu surpris de ces choix jusqu’à ce que je trouve dans le rapport de commission la liste de critères dont le 6ième : domaine qui concerne de près ou de loin l’action des pouvoirs publics… Nous y voilà ! C’est une commande du gouvernement, exécutée avec brio par un groupe de gens très respectables dont la plupart ont été formés et intronisés par le système élitaire de la république (X, Corps, ENA, ENS, etc.). On y retrouve donc ce petit parfum de colbertisme, aussi omniprésent dans l’économie hexagonale que l’ail dans la cuisine méridionale. La commission nous a donc concocté une variante un peu spectaculaire du bon vieil interventionnisme de l’état. Je pense que cela n’est même pas un choix de la commission, c’était dans le cahier des charges de la commande. On retrouve donc parmi les sept priorités affichées des thèmes qui sont souvent financés et/ou réglementés par l’état. C’est en vain que l’on recherchera dans la liste des secteurs d’innovations diffusives (économies d’énergies, commerce-internet, cosmétique, luxe, etc.).

Au vu de ce grand appel d’offres thématique suivi de compilations d’idées, d’analyses et finalement d’aides de l’état sous toutes les formes, je me retrouve à penser que l’innovation n’est pas vraiment l’affaire de l’état. J’ai lu des tas d’articles savants pour ou contre, mais le bons sens me revient avec la même certitude : l’état est certes utile en créant un contexte favorable à l’innovation, mais il se révèle plus que maladroit dans le pilotage direct de cette activité. Si l’état tout puissant était le bon moteur pour l’innovation, il y aurait quelques économies planifiées qui caracoleraient en tête du peloton du progrès, ce n’est pas le cas. Du côté du succès, jetons un coup d’œil aux jeunes stars innovantes que nous envions, Steve Jobs n’avait aucune passion pour le lobbying à Washington et les fondateurs de Google n’ont pas eu besoin de subventions pour suivre leur chemin.

L’état est à l’innovation ce que l’ours de la fable est à l’amateur des jardins. La morale de La Fontaine tient en deux vers :

Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi.

Hélas l’état, si bienveillant soit-il, est capable des pires bêtises en voulant « aider » l’innovation. Ce n’est pas de sa faute, il est trop loin des détails techniques, trop lent à décider, trop encombré de considérations politiques pour être un pilote pertinent et agile. Il y a certes des grands projets qui ne peuvent guère se faire sans une puissante impulsion de l’état. La France s’en était fait une spécialité : Concorde, TGV, MINITEL, Superphénix, etc. Je ne crois pas que ces grands projets aient donné un avantage compétitif à la France dans le domaine de l’exportation. Ce genre de grand projet se négocie d’état à état. Dans ce genre de transaction, c’est celui qui cache le plus gros gourdin dans son dos qui gagne, pas le plus performant techniquement. Du temps où la France était un empire puissant, c’était viable, mais aujourd’hui, les grands projets doivent être à l’échelle européenne.

Finalement, de cette commission vont rester quelques subventions, maigres crédits récupérés en douce dans d’autres lignes budgétaires pour lesquelles vont se bousculer certaines entreprises coutumières du fait. Malgré le tintement alléchant de la sébile, je maintiens que les subventions ne sont pas une bonne manière d’accompagner l’innovation. Quand on en abuse elles pervertissent toutes les logiques salutaires qui guident l’innovation.

La motivation : pour une entreprise la motivation de l’innovation c’est le désir de croître, ou plus encore le désir de survivre. Toute autre motivation comme celle très opportuniste de ramasser quelques subventions au passage fausse le choix nécessaire que doit faire la direction. On notera au passage que l’Etat a aussi en France tendance à protéger les entreprises. Elles n’ont pas d’angoisse à propos de leur survie… il suffit d’appeler au secours la mère Patrie, alors pourquoi prendre le risque d’innover ?

L’élagage : beaucoup ignorent que pour une innovation réussie, il y a derrière elle une ribambelle de cadavres de projets ratés. C’est la règle et rien ne sert de protester. Au début d’un projet il est impossible de savoir s’il est viable ou non, on l’apprendra en route, en travaillant. Pourtant la grande machine innovation, si elle veut avoir un bilan positif, doit dépenser moins de ressources dans ses ratés qu’elle ne va en gagner dans ses réussites. Pour cela il faut en toute priorité faire l’analyse de la viabilité d’un projet et, dès le premier sérieux doute, abandonner et réorienter les moyens vers de nouveaux projets. J’ai connu un nombre incroyable de projets qui ont survécus trop longtemps sous perfusion gouvernementale. L’échec d’un projet est encore moins agréable aux politiques qu’aux praticiens de l’innovation.

Le déploiement : Un innovateur doit toujours conduire et juger son projet à l’échelle internationale. Le coût de développement de tout projet est tel qu’on se doit de l’amortir sur le plus grand marché possible. Hélas la protection et l’aide de l’état a souvent pour conséquence un rétrécissement de l’ambition, un déploiement autour d’acteurs du même sérail. Quel crédit va recevoir ensuite le jeune projet quand il tentera de s’exporter avec pour seules références des voisins ?

Pour revenir aux recommandations de la commission Lauvergeon, je me prends à regretter qu’elle ait donné ce qu’ils attendaient à ses commanditaires. Elle aurait dû apprendre à l’état à rester dans son domaine, la création d’un contexte favorable à l’innovation. Je salue le bon travail mais je vais, hélas, jouer les prophètes de malheur : cette action là ne sortira pas la France du marasme qu’elle connaît en matière d’innovation.

Jacques Schmitt, Fellow Presans

Rapport de la Commission Innovation 2030, présidée par Anne Lauvergeon, ex-présidente d’Areva: UN PRINCIPE ET SEPT AMBITIONS POUR L’INNOVATION.

Crédit Photo: Reuters.