Innover sans risque ne peut pas fonctionner, parce que l’assurance exige une statistique de succès pour pouvoir calculer un risque et y associer une prime. Or l’innovation implique l’entreprise, et l’entreprise repose sur le jugement entrepreneurial, non sur une statistique de succès.
Entreprendre ne signifie pas innover, en revanche l’innovation sans entreprise n’existe pas ; l’entrepreneur en question fût-il l’Etat.
Le développement des sciences de gestion et de l’industrie du conseil en management ne change rien au trait fondamental des décisions entrepreneuriales : le calcul des chances de succès d’un projet repose avant tout sur une combinaison d’expérience et de bon sens, autrement dit sur le jugement d’un entrepreneur, et non sur des données statistiques.
Il est naturellement vrai que les données statistiques, dans la mesure où elles existent et sont pertinentes, sont utilisées par les entrepreneurs dans leurs décisions. Mais : l’assurance suppose des statistiques, et l’entreprise en situation d’incertitude ne dispose généralement que du jugement des acteurs.
Un projet innovant accorde un poids encore plus grand au mode entrepreneurial de gestion de l’incertitude.
Une gestion du risque par l’assurance contredit donc l’innovation dans sa réalité essentielle : “by the act of insurance the business man abdicates so much of his entrepreneurship” [FH Knight].
Risque statistique et risque estimé selon un jugement, qu’à la suite de FH Knight on peut nommer incertitude, sont deux notions tout à fait distinctes, et ce n’est que par une confusion épistémologique que l’on aboutit à la fausse bonne idée d’une assurance pour les projets d’innovation des petites et moyennes entreprises.
Il est crucial de comprendre que dans le cas des grandes entreprises et des start-ups, le mode de gestion du risque par l’assurance n’est pas un principe opérant, sauf à considérer les entreprises et les acteurs du capital-risque comme des investisseurs passifs. Or, ils sont tout sauf cela. D’une part, en effet, les grandes entreprises sont des spécialistes dans leurs domaines d’activité et possèdent par conséquent un jugement sur l’intérêt des projets innovants. D’autre part, les capital-risqueurs ont un jugement sur la qualité des entrepreneurs dont il soutiennent les projets ; car ils sont souvent eux-mêmes des entrepreneurs, ou d’anciens entrepreneurs.
Ne pas voir cette différence entre investisseur actif et passif, c’est tomber dans le piège d’une similarité de surface entre d’un côté le “portefeuille” de projets ou de start-ups des grandes entreprises ou des capital-risqueurs, et de l’autre, le “portefeuille” des projets couverts par une assurance-innovation.
Et le piège se refermerait immanquablement : à commencer par le fait que du caractère non statistique du risque assuré, et de l’absence de jugement de l’assureur découlent un potentiel de fraude massif, il n’y a qu’à voir ce que le label “entreprise innovante” a engendré comme industrie en matière de cosmétique de l’innovation…
Nous sommes ramenés au caractère fondamentalement bureaucratique de toute l’approche. On peut penser que tant que persistera la confusion sur le concept de “risque”, on ne pourra pas être étonné de voir s’envoler ailleurs de plus en plus de “pigeons” (d’entrepreneurs!), effrayés par un appétit étatique de taxation complètement aveugle au fait que leurs gains sont fondés sur la gestion de l’incertitude et méritent par conséquent protection, au contraire d’une simple captation passive d’intérêts.
*
Illustration sous licence Creative Commons disponible ici.
Bonjour,
je suis flatté que ma proposition fasse l’objet de deux posts sur votre blog. Comme disent les politiques, en bien ou en mal, pourvu qu’on parle de moi.
Je m’étonne simplement de votre jugement. Je ne prétends bien entendu pas que ma proposition soit à l’épreuve de toutes critiques. Mais en tant qu’experts de l’innovation, vous devriez être familiarisé avec le problème récurrent de l’expert qui s’oppose à l’innovateur. L’expert, par son expérience, brise très souvent l’élan des innovateurs, et assène des jugements sévères. Ça ne marche pas, on a déjà tout essayé, cette idée est absurde, et j’en passe. J’ai l’impression que vous soumettez ma proposition au même type de jugement.
Je ne chercherai pas à discuter avec vous ici sur les aspects techniques de ma proposition et des arguments que vous y opposez (qui peuvent être pertinents, je vous l’accorde). Nous pourrons le faire ailleurs.
Ce qui me chagrine, là dedans, c’est que vous ne proposez pas d’alternative. Juste une critique sévère et, à mon sens, infondée. La France n’est pas les États-Unis, et l’essentiel des État-Unis n’est pas la Silicon Valley. Ce qui marche dans la Silicon Valley ne marche pas ici. Hélas, trois fois hélas.
Alors, quand on défend l’esprit d’entreprise, on ne passe pas son temps à déplorer les faiblesses de son pays et la fuite des pigeons à l’étranger. On entreprend. On propose des solutions. Différentes des solutions californiennes, parce que ces solutions n’ont jamais fonctionné en France (citez-moi un Google français, même potentiel ?).
J’attends vos propositions. Et croyez-moi, je serai ravi que vous me coupiez le sifflet en proposant quelque chose de bien mieux que ma proposition, et je serai votre premier soutien.
Bien à vous,
SG
Cher Stéphane,
Merci pour votre réponse. Je suis bien d’accord avec vous sur le fait que ce qui ne marche pas en théorie peut marcher en pratique.
Je crois aussi que les ramifications de votre idée sont profondes et que c’est pour cela qu’elle mérite absolument d’être discutée, notamment sous des angles qui n’ont pas encore été évoqués.
Je pense que votre idée pourrait marcher, ou du moins marcher moins mal *ailleurs* qu’en France, mais pour des raisons qui font qu’on n’en aura alors pas besoin.
Bien à vous,
JK