Les puits de dioxyde de carbone1 artificiels que sont les dispositifs de capture, de stockage ou d’utilisation du carbone (CCUS) figurent parmi les outils technologiquement innovants qui visent à contribuer à la neutralité carbone. Les activités industrielles à la fois émettrices de gaz à effet de serre (GES) et dépourvues de substituts décarbonés, peuvent en effet utiliser des dispositifs de capture du carbone soit pour ensuite stocker le carbone, soit pour ensuite l’utiliser dans des processus industriels.
Quelle est l’origine et l’évolution de ce marché ? Qui en sont les acteurs ? Quelles incertitudes ces acteurs ont-ils besoin de lever afin de pouvoir avancer dans la voie des CCUS ?
1. Origine et évolution du marché
Le marché des CCUS est actuellement un marché de projets de développement. Il résulte des politiques environnementales des autorités publiques. En Europe, le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (EU ETS) intègre les technologies CCUS et contribue à financer leur développement. La viabilité économique des dispositifs CCUS dépend du prix du carbone (en euros par tonne), qui correspond à la valeur des quotas d’émission de GES sur le marché. Le niveau actuel se situe autour aux alentours de 40-50 euros. Le niveau qui rendrait les technologies CCUS économiquement viables est de l’ordre de 100 euros, de l’avis des industriels. Pour mémoire, les émetteurs de GES dont les émissions ne sont pas intégralement couvertes en quotas doivent s’acquitter d’une amende s’élevant à 100 euros par tonne de GES (et ce niveau va augmenter).
Les technologies CCUS sont donc en train d’être développées sur la base d’une hausse anticipée du prix du carbone. Actuellement 25 projets sont en développement dans le monde, sur un total de 40 projets en développement ou en cours d’étude.
1.2. Quelques applications rendues possibles par la capture du carbone
Récupération assistée du pétrole (EOR)
L’injection de carbone dans un puits d’hydrocarbures permet d’augmenter la pression dans le puits et de davantage l’exploiter : c’est l’une des variantes de la récupération assistée du pétrole (EOR). Le carbone peut éventuellement être issu d’un dispositif de capture et finit stocké dans le puits (cependant plus ou moins susceptible de fuiter). Cette situation combine donc utilisation et stockage.
Exemple n°1 d’application chimique : ammoniac vert et production d’éthanol bas carbone
Le principe est de capturer le carbone émis par la production d’ammoniac, puis de l’utiliser pour produire de l’éthanol bas carbone.
Exemple n°2 d’application chimique : hydrogène vert
Le principe est de séquestrer les émissions de carbone engendrées par le vaporeformage du méthane pour produire de l’hydrogène vert. Air Liquide développe une solution répondant à cet objectif.
1.3. Le stockage
Les sites envisagés pour la séquestration du carbone tendent à se situer dans les fonds marins pour des raisons de pression et de température. La sécurité du stockage dans des aquifères salins exige des moyens avancés de contrôle et de surveillance, tirant parti de la transformation digitale.
2. Qui sont les acteurs du marché des CCUS ?
2.1. La demande de CCUS
La composante utilisation n’est pas nouvelle, nous avons en effet vu que les utilisations industrielles ou extractives du carbone existent indépendamment de l’objectif de neutralité carbone. En revanche, la capture constitue une nouvelle technologie dont le coût de développement élevé ne se justifie que par l’objectif de décarbonation.
Dans cette perspective, les CCUS peuvent être pertinents pour tout processus industriel produisant de manière concentrée des GES. Sidérurgistes, producteurs d’engrais, raffineurs, chimistes, pétrochimistes, cimentiers… autant d’activités sans substituts décarbonés qui pourraient réduire leur empreinte carbone grâce aux CCUS.
Les CCUS peuvent aussi être déployés dans le cadre de centrales thermiques, notamment celles qui fonctionnent au charbon. C’est le cas pour deux centrales à charbon dans le monde, l’une au Canada, l’autre au Texas.
Comme me l’a récemment expliqué Nicolas Moreau, Vice-Président ligne de produit Industrie et Energy Transition Opportunities chez Vallourec, “les acteurs issus de ces différents secteurs se constituent en consortiums afin de mutualiser des actifs et créer de nouveaux équilibres.”
2.2. L’offre de CCUS
La capture
Plusieurs approches sont possibles pour réaliser la capture. Le design le plus fréquent fonctionne avec des ventilateurs et des filtres. Il est pour le moment peu efficient et donc très coûteux. De nombreux projets pilotes dans différentes régions du monde ont révélé la difficulté de maîtriser cette technologie. La capture constitue actuellement un sujet majeur d’innovation technologique.
Afin d’augmenter l’efficience de la capture, une solution est de regrouper dans l’espace les activités industrielles dans des clusters balisés par des dispositifs CCUS.
Le transport
Le transport peut se faire par bateau ou par gazoduc. Le transport par bateau suppose de mettre au point une solution efficiente de transport de carbone liquide.
Le transport par gazoducs exige d’une part des tubes haute performance, sans soudures, capables de résister à des conditions extrêmes de température, de pression et de résistance mécanique. En France, Vallourec se positionne sur ce marché. D’autre part, le tracé des voies d’acheminement demande des travaux de cartographie très poussée, prenant en compte tous les risques géologiques.
2.3. Les acteurs nationaux
Le pays de loin le plus en pointe sur la capture et la séquestration du carbone est la Norvège. Le projet Northern Lights mobilise notamment Total et Shell.
Plusieurs grands pays développés ont des programmes de soutien du développement de technologies CCUS.
3. Les points d’incertitude
3.1. Prix du carbone
Le marché des quotas d’émission n’étant rien d’autre qu’un expédient pour piloter la baisse des émissions globales engendrées par un système économique complexe, la hausse du prix du carbone est une hypothèse raisonnable dans le cas européen. Les autorités prévoient en effet de réduire progressivement le volume total des nouveaux quotas. Ce n’est donc qu’une question de temps avant que les réserves accumulées de quotas soient consommées. Le timing exact de cette hausse est cependant incertain. De même, le prix du carbone peut différer selon les région du monde, entraînant potentiellement des délocalisations d’activités émettrices de GES… mais aussi un intérêt pour des acteurs hors-zone à s’intégrer dans le marché du carbone où le prix est le plus élevé, pour y vendre des quotas au prix fort.
Le prix du carbone doit atteindre environ $300 pour impulser pleinement l’exploration technologique autour des CCUS. C’est à cette condition que les investissements massifs nécessaires à la réalisation de la neutralité carbone deviennent possibles. L’effort requis serait analogue à celui qui a permis la construction de l’infrastructure pétrolière, mais sur une période beaucoup plus resserrée dans le temps.
3.2. Politique
La pertinence des CCUS au sein des outils de décarbonation ne fait pas l’objet d’un consensus politique parfait. Exemple : un courant politique longtemps dominant en Allemagne s’oppose à toute application des technologies CCUS aux centrales à charbon, pour ne pas favoriser leur prolongement. Développer une technologie CCUS efficiente pour les centrales à charbon ne semble pourtant pas une mauvaise idée compte tenu du fait que de nombreux pays, dont la Chine, vont continuer pendant longtemps à utiliser cette source d’électricité.
Conclusion : identifier les synergies autour du développement des technologies CCUS
Le marché de la capture du carbone se situe au tout début de son développement. En ce sens, il est comparable au marché de l’hydrogène vert. Cela n’est pas surprenant : nous avons vu que le prix actuel du carbone permet seulement à l’industrie de la génération d’électricité d’être rentable.
Dans ces conditions, la question du développement de ce marché conduit à deux interrogations. D’une part : quels sont les technologies de capture disponibles dans les profondeurs de l’écosystème de l’innovation industrielle, quels sont leurs potentiels de rupture, et quels sont leurs niveaux de maturité ? Et cette question doit être posée sans préjuger de l’origine des technologies. Aujourd’hui, la surprise est susceptible de venir de partout. D’autre part, qui sont les acteurs qui devraient se poser cette question ?