C’est une histoire qui commence par la fin. La fin de la semaine d’immersion que je viens de passer avec 35 de mes étudiants executive du programme HEC Leading Digital Transformation. Dimanche 13 octobre 2019, après avoir couru le long des crêtes du Tilden Regional Park, j’arpente les rues de Berkeley et je me retrouve au milieu d’une horde de hippies. Ca sent la weed. J’apprends que c’est Grateful Dead day… Berkeley, ville mythique de la baie de San Francisco, à la croisée de la tech et d’une scène plus alternative.
Une histoire qui commence par la fin, mais une histoire qui se situe à l’épicentre de la tech, où tout a commencé.
Une histoire qui commence par la fin, aussi car “commencer la fin” est justement l’un des messages clés de cette nouvelle semaine d’immersion annuelle. UC Berkeley. San Francisco. SalesForce. Pinterest. UpWork. Chime. Palo Alto. Amazon. Facebook. Paypal. Linkedin. Synthèse à travers le prisme des Organisations Ouvertes. Synthèse à travers les 5 caractéristiques des organisations modernes : Centricité utilisateur, data-driven, stratégie de plateformes, talents à la demande et mission inspirante.
Stuff as a Service : commencer par la fin de la chaîne de valeur
Dans le framework des Organisations Ouvertes, nous parlons d’entreprises fonctionnelles et centrée utilisateur. Synonyme de Stuff (1) as a Service: Bank as a Service, Food as a Service, Mobility as a Service, Finance as a Service… même HAAS as a Service, acronyme récursif imaginé par mon collègue Prof Greg Lablanc avec qui j’ai construit le programme Leading Digital Transformation.
Tout nouveau business est ici conçu comme un service. Un service souvent délivré à la demande.
Pour la conception du service, il faut partir de l’utilisateur final. Commencer par la fin.
Ryan King, co-fondateur et CTO Chime, parmi le top 5 des néobanques qui réalise 350% de croissance, nous explique qu’ils ont identifié le problème numéro un de leurs utilisateurs joindre les deux bouts entre chaque paye (2) et l’ont solutionné avant de passer au suivant. Un tel focus permet de dépouiller les banques classiques de leur clients. Une fois une base solide d’utilisateurs installée, il sera possible de se diversifier (prêts, placements, assurance etc.).
Rich Hua, Global Business Development Manager chez Amazon Web Services, nous a expliqué que l’approche d’Amazon, permet de réduire les coûts de structure, et donc les prix, et ainsi de renforcer le cercle vertueux UX <> Data.
Marc Escobosa, Directeur Innovation chez SalesForces, quant à lui parle de transcendance : il faut repenser la création de valeur globalement : repartir d’une page blanche en adoptant une approche système.
Fidji Simo, Directrice de l’application Facebook, qui représente un département de 4000 personnes, nous a expliqué la segmentation des applications pour attirer de nouveaux utilisateurs : Instagram est très utilisé par les teenagers, alors que Facebook est plutôt conçu pour des populations plus âgées (Université etc.).
Alpha for everything : des données et des algorithmes pour optimiser le business
Le professeur Greg Lablanc aime à dire qu’il y a deux types d’entreprises : les entreprises tech et les entreprises mortes. Les entreprises tech sont les entreprises data driven. De la même manière que l’on calcule l’alpha en finance (3), les organisations du nouveau monde calculent un alpha pour toutes les fonctions business (RH, marketing, finance, opérations etc.) et identifient les corrélations entre cet alpha et divers leviers afin de déterminer de manière quantitative les leviers d’optimisation : la collecte et l’analyse systématique de données pour l’ensemble des fonctions business permet de décrire, diagnostiquer, prédire, puis de prescrire. Pour Gregory Renard, l’un des meilleurs experts en intelligence artificielle, cette dernière aura le même impact sur la société et les entreprises que celui de l’électricité jadis.
Notons que le data scientist devra avoir une connaissance sectorielle approfondie afin d’éviter certains écueils bien connus des statisticiens chevronnés : biais d’échantillonnage, corrélations non synonymes causalité etc. Fait amusant, il existe une anti-corrélation entre le trafic de la plateforme Pornhub et le Super Bowl. De là à conclure qu’il existe un lien de cause à effet…
Ya Xu, Directrice du département data science de LinkedIn, nous a expliqué comment son équipe de 250 data scientist était en train de transformer LinkedIn en une entreprise “data first”. Comment grâce aux données, chaque pilier business de LinkedIn (hire, market, sell et learn) est en train d’être optimisé.
Data et algorithmes sont indissociables, mais ils n’ont pas la même valeur. En effet, on observe que les entreprises tech partagent volontiers leurs algorithmes. En revanche, les données, sont jalousement protégées. Kwame Yamgnane, co-fondateur de l’École 42 à Paris et de sa filiale dans la Silicon Valley, nous a d’ailleurs expliqué qu’avec les data de sa nouvelle startup edtech, Qwasar, il aura accès aux talents avant LinkedIn, au software avant GitHub et aux entreprises avant Y-Combinator.
APIs eat the world : toutes les entreprises modernes ont des stratégie de plateforme
On entend souvent dire que toutes les entreprises ne peuvent pas être une plateforme. La vérité, c’est que toutes les entreprises que nous sommes allés rencontrer ont une stratégie de plateforme sous une forme ou une autre. Les plateformes que j’appelle d’infrastructure, que certains appellent méta-plateformes, sont plus ou moins équivalentes aux API qui permettent d’interfacer un écosystème (interne et externe) qui contribue à créer et capturer de la valeur.
Avec AWS (Amazon Web Services), Amazon est la plateforme d’infrastructure par excellence, sur laquelle sont basés de nombreux autres services et de nombreuses autres entreprises : Netflix, Expedia, Slack, Dropbox, Adobe, Airbnb etc. L’approche micro-service d’Amazon permet une très grande versatilité des développement effectué. Même en cas d’échec (ex. Fire Phone), les briques sont immédiatement recyclées pour d’autres applications (ex. Alexa).
Ekram Mukbil, nous a expliqué comment Nvidia, autrefois connu pour ses GPU dans le domaine du jeu vidéo, désormais acteur majeur de l’IA, notamment dans le domaine de la mobilité, met à disposition de son écosystème sa propre plateforme d’infrastructure permettant ainsi d’accéder à diverses couches comprises entre le middleware et la couche physique.
Mike Todasco, Directeur Innovation de Paypal, nous a expliqué que Paypal a véritablement décollé en devenant une API company qui met à disposition d’entreprises tierces son système de “confiance” et de transactions pour leurs propres applications.
Nous avons parlé plus haut de SalesForce, également un exemple emblématique de l’approche plateforme qui leur permet encore aujourd’hui une croissance incroyable. Non seulement SalesForce, en se concentrant initialement sur une killer app, a su attirer un très large pool d’utilisateurs, et par la suite se diversifier massivement sur d’autre verticale, mais en plus SalesForce est parvenu à devenir une API company, permettant ainsi à d’autres de construire leur propres applications par dessus.
Talents on demand : Uber débarque sur les plateformes de freelances
La dimension Talents on Demand du framework Organisation Ouverte caractérise la propension d’une organisation à mobiliser des ressources humaines à la demande – et cela peut prendre des formes diverses et variées. Cela peut être une entreprise qui mobilise des talents à travers sa propre plateforme (ex. Apple mobilise plus de 200 000 développeurs à travers l’environnement de développement de l’AppStore), comme cela peut-être une entreprise traditionnelle qui recourt à une plateforme de freelancers telle que UpWork.
Dans un article précédent, je proposais une typologie pyramidale des plateformes de Talents à la Demande : le bas de la pyramide est composée des plateformes permettant de mobiliser des talents faiblement qualifié, le haut, quant à lui, des plateformes permettant de mobiliser des talents très qualifiés.
Alors quoi de neuf ? Stéphane Kasriel, CEO de UpWork, ne pense pas que LinkedIn sera demain un concurrent, c’est-à-dire, un acteur de la gig economy . Un racheteur potentiel ? Pourquoi pas. La même question posée à Wailun Chain, VP FP&A de LinkedIn, semble embarrassante. Alors la vision décrite dans la conférence TED que j’ai donnée il y a quelques années est-elle en train de se réaliser ? Pas encore (ou alors on n’en parle pas). En revanche, fait intéressant, Uber a lancé il y a tout juste quelques semaines, un nouveau service : Uber Works une plateforme permettant de mobiliser à la demande de la main d’oeuvre faiblement qualifiée (après la killer app, on déroule la stratégie de plateforme…).
Conclusion: écosystème, tendances et transformation
3 points en guise de conclusion :
- Comme nous l’a rappelé le VC Cyril Erbersweiler, pour qu’un écosystème soit efficace, “exits must exist”. On entend souvent dire qu’aux États Unis, les startups sont les département R&D des corporates. Cela est (partiellement) vrai aux US car il existe un écosystème parfaitement organisé : un entrepreneur qui échoue recommence et quand il réussit, soit il fait une IPO et continue, soit il se fait racheter par un corporate et démarre une nouvelle aventure avec ses nouvelles idées et réserves de cash.
- Gamiel Gran (VC chez Mayfield) a partagé avec nous les thématiques les plus chaudes du moment : renaissance of silicon (more than more than moore), biology as a technology, human centered AI, hackerproof security, decentralised computers, system of engagements, alternative interfaces. Soyez vigilants !
- On a commencé par fin, alors je propose de terminer par le début : le décollage de la fusée. Fidji Simo, directrice de Facebook App, nous a expliqué qu’au début d’une aventure qui risque d’aller très vite, il faut avancer : “Quand vous êtes assis sur une roquette, vous ne demandez pas quel siège vous avez !”
Les années passent. Les startups grandissent. Tout va toujours aussi vite.
(1) Remplacez “Stuff” par ce que bon vous semble.
(2) Avec les banques classiques, lorsque le salaire est versé, il n’est pas disponible immédiatement sur le compte en banque, ce qui entraîne des découverts et les frais bancaires sont élevés.
(3) L’alpha, en finance, est l’indicateur de performance d’un actif par rapport à son indice de référence.