À une époque où l’information est disponible dans la seconde à l’autre bout de la planète, la nouveauté se banalise presque instantanément. La concurrence n’est jamais loin et, pour survivre, il n’est d’autre choix que d’innover toujours plus vite. En quelques années, le délai de conception d’un avion est passé de dix à sept ans, et de sept à quatre à cinq ans pour une molécule. Cette accélération des cycles d’innovation est l’une des tendances fondamentales de notre environnement économique, naturellement indissociable d’une autre tendance de fond, la digitalisation, qui précipite la reconfiguration des chaînes de valeur traditionnelles.
Les entreprises voient donc à la fois leurs produits aussitôt menacés de devenir des commodités et la nature même de leurs modèles remis en cause. Pour continuer à se différencier, préserver leurs marges et conserver leurs clients, elles s’efforcent d’associer à leurs produits des services, lesquels nécessitent cependant d’intégrer des connaissances parfois éloignées de leur cœur de métier. Or, on assiste parallèlement à une inflation exponentielle du volume des connaissances. Cette année, la quantité de publications scientifiques dans le monde devrait dépasser les 5 millions et le nombre de brevets avoisiner le million. Quelle que soit l’entreprise, quelle que soit sa taille ou son secteur, elle doit admettre que l’essentiel du savoir lui est extérieur, notamment celui qui pourra lui permettre d’investir de nouveaux territoires.
Conséquence directe de ces trois facteurs, puisqu’il s’agit de tirer parti de connaissances exogènes pour innover plus vite dans un contexte digital, l’open innovation apparaît comme un impératif absolu. Et comme un pléonasme. Car comment l’innovation pourrait-elle ne pas être ouverte ? En réalité, c’est d’open entreprise dont il faudrait parler. Pour innover mieux, plus et plus vite, toute l’organisation doit changer. De spatiale – aller chercher l’expertise là où elle se trouve –, la frontière devient temporelle – faire perdurer cette capacité. C’est pourquoi toutes les grandes entreprises, hantées par le spectre Kodak, se demandent comment atteindre l’agilité d’une start-up malgré leurs milliers de collaborateurs. Aujourd’hui, leur réponse passe souvent par de nouveaux venus dans l’organigramme – directeur de l’innovation, directeur digital – bien que leur mission commune incombe en principe au PDG. Ne s’agit-il pas de transformer l’entreprise pour assurer sa survie ? Steve Jobs avait-il besoin d’un directeur l’innovation ?
En définitive, l’impératif d’innovation dans un monde ouvert et rapide rend obsolète le modèle de l’entreprise tel qu’il existe depuis 150 ans. L’entreprise de l’âge de la main d’œuvre était la manufacture, qui louait des forces de travail interchangeables à la journée. Puis est venu l’âge de la machine, où l’entreprise s’est bâtie pour minimiser les coûts de transaction, attachant ses employés à leur tâche dans une organisation efficace. Aujourd’hui, nous entrons dans l’âge de l’information, où le digital élimine virtuellement ces coûts de transaction, qui n’appellent donc plus ce raffinement organisationnel. L’enjeu, désormais, c’est que la structure soit capable d’importer de la connaissance, de l’exploiter et de se reconfigurer dynamiquement en fonction des projets et de l’environnement.
Un fonds d’investissement comme Kima Ventures figurerait assez bien cette entreprise du futur. Chacune des startups qui composent son portefeuille est autonome et relativement fragile mais, au niveau macroscopique, l’ensemble est robuste et progresse symbiotiquement dans une perspective stratégique globale. Corporations d’indépendants ? Réseaux de PME ? La révolution de l’open innovation engendrera sans doute d’autres modèles d’entreprise qui restent à inventer mais qui, à coup sûr, ne ressembleront pas à nos grands groupes hiérarchisés.