Albert Meige est le CEO de Presans et le Directeur de L’EMBA Telecom Ecole de Management. Son expérience d’entrepreneur dans le domaine de l’innovation industrielle le conduit à formuler une vision audacieuse de l’évolution de l’organisation du travail. Selon lui, l’enjeu montant n’est plus l’innovation ouverte, mais bien l’organisation ouverte.
Peux-tu nous parler du parcours qui t’as conduit à devenir celui que tu es aujourd’hui, CEO / Enchanteur de Presans et Directeur d’EMBA?
Tout d’abord Jacques, laisse moi te dire que je n’étais pas trop chaud quant à ta proposition de m’interviewer. D’une part, malgré le fait que je fasse pas mal de public speaking, lorsque je suis sur scène, je mets mon masque. Aujourd’hui, tu me demandes de l’enlever. De parler de moi. C’est un exercice qui me mets très mal à l’aise. D’autre part, je ne suis toujours pas convaincu que cela intéressera qui que ce soit à part mes parents :-). Bref! Allons-y!
Il y trois façons de raconter mon parcours : il y a d’abord mes 15 ans passés dans l’innovation, à partir de positions et d’optiques différentes : d’abord très en amont, dans la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine de la physique des plasmas. Puis, fin 2008, dans le cadre d’une aventure entrepreneuriale, Presans. Et enfin, à travers les projets menés pour nos clients, j’ai aussi intégré le point de vue des grands groupes industriels.
Une deuxième manière de voir les choses, c’est ma quête pour mieux comprendre le monde dans lequel je vis et dans lequel j’évolue, qui restera toujours une exploration de proche en proche, de montagne en montagne : le métier de Presans ayant fort à voir avec l’expertise, j’ai pu approfondir la nature de ce processus. C’est ce qui m’a conduit à me confronter à la question du management de l’innovation, puis à l’évolution du management de l’innovation, aux grandes tendances disruptives et aux stratégies de survie des entreprises que ces tendances bousculent. Et tout cela à des conséquences sur la forme des organisations, ce qui m’amène à concentrer mon regard sur les entreprises elles-mêmes et sur la notion que nous avons de l’entreprise, sur les interactions entre les entreprises et les personnes qui les constituent. Au départ de mon processus d’apprentissage, il y a des intuitions que je ne sais pas bien formuler, ce qui me force à chercher de l’information. C’est cela qui me fait avancer vers une perspective de plus en plus globale, qui intègre de plus en plus l’économie et la politique.
La troisième facette qui explique mon parcours, c’est mon côté autodidacte impertinent, peu apprécié par mes professeurs. J’ai toujours suivi mon instinct, je crois que cela constitue aussi une voie vers l’excellence. Mais, du coup, je n’ai jamais pu me forcer à apprendre les trucs qui m’ennuyaient. D’où, également, ma quête des diplômes et de l’excellence, pour compenser l’angoisse, voire le doute métaphysique que me cause souvent mon tempérament! Je fonctionne beaucoup par passions, souvent éloignées les unes des autres, mais que je vais irrésistiblement chercher à connecter. Ma passion la plus ancienne est la magie, longtemps réservée à un monde dans lequel il faut être initié, et avec lequel je conserve des amitiés : Gérard Majax, Arturo Brachetti, Rémi Larrousse etc. J’en retire par ailleurs ma première aventure entrepreneuriale, et la conviction que ce sont les gens qui comptent dans un domaine qui en possèdent la vision la plus complète, la plus « meta ». Ensuite vient ma passion pour les souterrains, là aussi domaine jadis réservé à un petit monde d’experts — une réalité que la disruption digitale n’a pas manqué de chambouler. Et là aussi, je me suis investi avec passion, ce qui m’a amené à rencontrer des gens qui savaient des choses, qui parcouraient les souterrains depuis des dizaines d’années : des gens dont nous avons déjà parlé sur ce blog, d’ailleurs, comme Xavier Niel (qui ne s’en cache pas), ou Gilles Thomas. Ces passions sont connectées : la magie, c’est l’art de surprendre, d’émerveiller, d’enchanter, c’est une clé pour le monde des affaires ; les souterrains révèlent notre passion à tous de l’exploration de nouveaux territoires, qui ne sont parfois que l’envers des territoires que nous croyons faussement connaître.
Je me suis longtemps demandé pourquoi je ne rentrais pas dans les cases habituelles. Ou pourquoi depuis le CP mes enseignants me trouvaient « déconcertant » ou « étrange ». J’ai fini par comprendre que cela était lié à mon caractère introverti et curieux. Je crois que je fais partie de ces gens multipotentiels (ces gens qui ont l’impression de mal rentrer dans les cases depuis qu’ils sont petits), et donc je pense que ce n’est pas par accident que si je me retrouve dans l’innovation, où il s’agit fondamentalement de voir des liens que la majorité des gens ne voient pas. C’est la partie positive, il y a aussi des inconvénients.
Quant à l’EMBA, c’est un projet qui sur le plan thématique converge largement avec ce que je fais déjà à Presans : une opportunité heureuse que je vis comme quelque chose de formidable.
Comment fais-tu pour concilier tant d’activités?
On me dit parfois qu’il n’y a pas que le travail dans la vie. Mais pour moi le travail n’est pas une parenthèse, c’est vraiment un projet de construction ou de développement permanent qui contribue fortement à m’animer. Je veux comprendre le monde et avoir un impact sur lui. Certes, je travaille beaucoup – sans doute 60 heures par semaine, mais cela n’empêche pas de faire des coupures vraiment déconnectées… Les vacances sont un moyen de se fatiguer différemment, de se changer les idées en variant notre activité. Comment faire alors? Je ne peux parler que de ce qui marche pour moi : l’organisation. La révolution informatique a été une bénédiction pour moi. J’ai un besoin inexorable de structurer, structurer, structurer… le désordre visible est une source d’angoisse, car il renvoie à la part de désordre qu’il y a en moi! Et enfin, je ne suis pas tout seul. Une de mes clés est de trouver des gens plus intelligents que moi et de travailler avec eux. Ce sont eux qui rendent mes idées intelligibles.
Quel est le message central que tu veux faire passer à propos de l’innovation?
Le domaine de l’innovation impose impérativement d’avoir une vision « meta » des choses, de ne pas en rester à l’innovation, justement. Il faut comprendre que ce qui est décisif, ce n’est pas de voir les choses en termes d’open innovation, car l’enjeu, ce sont les organisations ouvertes. Open innovation is dead, long live open organizations. Toutes les évolutions que j’ai capturées dans mon livre proviennent de causes profondes dont les conséquences vont en réalité beaucoup plus loin que la question de mettre sur le marché des produits innovants. Donc mon message principal, c’est que nous sommes à l’aube d’une nouvelle forme d’organisation.
Quelle est ta vision pour Presans, aujourd’hui?
La vision, c’est que depuis 15 ans, un ensemble de disruptions violentes et rapides bousculent toutes les chaînes de valeur, conduisant à l’émergence de nouvelles formes d’organisation aux hiérarchies aplaties, sur le modèle de ce qui est d’abord apparu dans les startups du numérique. Ce qui caractérise ces structures, c’est la réduction par un facteur de deux ou trois des couches hiérarchiques par rapport aux entreprises traditionnelles, et, fondamentalement, la capacité à mobiliser des talents internes et externes, à la demande. Et donc les entreprises établies cherchent maintenant à intégrer ces caractéristiques. C’est une question de survie compétitive. Au coeur de la nouvelle forme dominante d’organisation, il y a, en réalité, la notion de staff on demand. La capacité organisationnelle clé, c’est de pouvoir créer des équipes de talents à la demande. Et la vision de Presans, c’est de rendre nos clients capables de faire exactement cela. C’est notre raison d’être, notre réponse à la question du pourquoi? (Simon Sinek). Les nouvelles organisation possèdent un autre point commun : elles ont toutes un « massive transformative purpose » (MTP) qui ne décrit pas ce qu’elles font mais la grande raison qui fédère à la fois les collaborateurs internes et externes. C’est une dimension ultra-importante quand il s’agit d’embarquer ensemble des talents internes et externes à l’entreprise. Et donc, à Presans, on va faire des choses qui s’inscrivent dans cette vision.
Quels sont tes héros?
J’ai mes héros dans une note à part. D’un côté, les entrepreneurs atypiques, les autodidactes, les Xavier Niel, les Henri Seydoux, les Elon Musk. Peu original, mais vrai, puisqu’ils m’inspirent. Steve Jobs, évidemment. De l’autre côté, des artistes, des écrivains. L’irremplaçable Michael Jackson : imagine-t-on Michael Jackson en survêtement achetant sa baguette? Non. C’est une star comme on n’en fait plus. Et l’irremplaçable Michel Houellebecq : quelqu’un d’inspirant, dont nous aurons à reparler dans ce blog.