L’hydrogène relève aujourd’hui davantage du domaine de la chimie industrielle que de celui de l’énergie ou de la mobilité (le mot ne figure notamment pas dans l’index du manuel d’énergie de Jean-Pierre Hansen et Jacques Percebois). L’hydrogène, c’est économiquement avant tout, et de très loin, l’hydrogène appliqué à l’industrie, l’hydrogène-industrie.

Cette situation pourrait changer dans les années qui viennent. D’une part, l’hydrogène pourrait contribuer à résoudre le problème du stockage d’énergies renouvelables : c’est l’hydrogène-énergie. D’autre part, l’hydrogène pourrait servir pour le chauffage, et faire partie de la mobilité bas carbone, notamment en tant que combustible de piles motrices : c’est l’hydrogène-mobilité… une rupture potentielle qui exige au préalable de décarboner la production de ce vecteur d’énergie.

Dans une perspective plus lointaine, l’hydrogène, dont se composent certains filaments qui traversent le cosmos, pourrait aussi intervenir dans le cadre de la fusion nucléaire à usage civil (à travers ses isotopes). Mais je n’aborderai pas ce thème ici.

 

1. Production d’hydrogène : de la capture du carbone à la décarbonation totale

1.1. La production d’hydrogène

Les méthodes de production d’hydrogène (plus précisément, de dihydrogène H2) sont nombreuses. La principale méthode industrielle de production d’hydrogène est actuellement le vaporeformage d’hydrocarbures (non renouvelables) tels que le méthane. Cette méthode produit aussi du CO2.

La production industrielle d’hydrogène est de 900 kT en France et de 50 M kT dans le monde (1). La production de cet hydrogène dit “gris” rejette 10 kg de CO2 pour 1 kg d’hydrogène produit (2)… soit 500 M kT de CO2 annuels rejetés dans le monde, sur un total d’émissions globales estimé à environ 37 milliards de tonnes. 

La capture de CO2 est la principale piste technologique pour réduire les émissions de CO2 associées à la production d’hydrogène à partir d’hydrocarbures. Les grands acteurs industriels savent aujourd’hui mettre en oeuvre des solutions de ce type. Elles ont cependant aussi pour conséquence de rendre la production plus coûteuse. De plus, il s’agit là d’hydrogène “bleu” et non d’hydrogène décarboné “vert”. En effet, comme énoncé dans le récent appel à projets de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), consacré au développement de la filière hydrogène, l’hydrogène décarboné est défini comme étant, d’une part, issu d’énergies renouvelables, et d’autre part, transporté en minimisant les émissions de CO2

Il y a actuellement deux méthodes industrielles (3) pour produire de l’hydrogène décarboné, et un grand nombre de méthodes expérimentales. La méthode industrielle principale est l’électrolyse de l’eau (“power to gas”). Le principe de l’électrolyse de l’eau admet de nombreuses variantes (plus ou moins bien établies), en jouant sur les paramètres de température, de pression, en modifiant la cellule (il y a plus de quinze types de cellules possibles).

Une autre méthode est le procédé Kvaerner, qui consiste à chauffer un hydrocarbure à 1600° C avec une torche à plasma.

Les principales pistes expérimentales de production d’hydrogène vert sont les suivantes : 

  • La gazéification de biomasse
  • Les processus biologiques : fermentation, photosynthèse… 
  • La thermolyse (craquage de l’eau à 850°).
  • Les réactions chimiques et thermochimiques.

La chaleur élevée souvent requise pour produire de l’hydrogène peut être apportée par un dispositif de cogénération, appliqué par exemple à une centrale nucléaire (4)

Le passage du stade expérimental au stade industriel pourrait avoir lieu dans les années qui viennent pour plusieurs de ces technologies. Actuellement, l’hydrogène décarboné est deux à trois plus cher que l’hydrogène produit à partir d’hydrocarbures.

 

1.2. Le stockage d’hydrogène

Le mode de stockage de l’hydrogène n’est pas évident comme l’est par exemple celui du pétrole. Avec une pression atmosphérique et une température de 25°C, l’hydrogène possède une masse volumique de 0,09 kg/m3, rendant son stockage difficilement praticable.

Trois solutions existent, toutes coûteuses : 

  • Le stockage sous forme de gaz comprimé (pressurisation jusqu’à 700 bars), permettant une masse volumique de 42 kg/m3
  • Le stockage sous forme liquide (cryogénisation à -252,8°C), permettant une masse volumique de 70 kg/m3 ; il existe aussi des projets de vecteurs liquides pouvant être chargés en hydrogène.
  • Le stockage sous forme solide, notamment d’hydrure métallique (absorption de l’hydrogène par un métal), permettant une masse volumique de 106 kg/m3

 

2. Les nouvelles applications énergétiques de l’hydrogène : stockage, chauffage, mobilité, etc.

Issu à 95% d’hydrocarbures, l’hydrogène intervient aujourd’hui dans une grande variété de procédés industriels : production de l’ammoniac pour les engrais dans l’agriculture, raffinage du pétrole (désulfuration notamment), la chimie (production de méthanol par exemple), ainsi que dans le spatial (5), la métallurgie, la verrerie, etc. Pour toutes ces applications, la demande de marché existe déjà. 

De nouvelles applications relevant des domaines du stockage de l’énergie, du chauffage, et de la mobilité pourraient, à l’avenir, venir s’ajouter aux applications déjà établies. Actuellement, la demande de marché pour ces applications est encore relativement limitée. De plus, la justification de ces nouvelles applications repose largement sur l’utilisation d’hydrogène vert, dont la production ne fait que commencer.

Le principe général de toutes ces applications est la pile à combustible (PAC) (6), qui permet de produire de l’électricité et de la chaleur à partir d’hydrogène et d’oxygène. Inventée au dix-neuvième siècle et constamment améliorée depuis jusqu’à devenir exploitable pour des utilisations pratiques dans les années 1950, la PAC fait toujours l’objet d’efforts significatifs de R&D, visant notamment à réduire l’utilisation du platine comme catalyseur.

 

2.1. L’hydrogène au service du stockage d’énergies renouvelables

Les énergies renouvelables fonctionnent souvent avec des intermittences, ce qui pose un problème de stockage de l’énergie produite durant des périodes de consommation basse. L’hydrogène se présente comme un candidat pour contribuer à la résolution de ce problème. Je renvoie à ce sujet à la fiche technologique consacrée à ce sujet publiée l’an passé sur open-organisation.com.

 

2.2. Chauffer grâce à l’hydrogène

Il est possible d’utiliser une pile à combustible pour se chauffer, tout en produisant de l’électricité. Plus généralement, l’hydrogène peut jouer un rôle dans les réseaux de chauffage, comme le montre la fiche consacrée aux nouvelles technologies de chauffage et de refroidissement urbain qui vient d’être publiée sur open-organization.com.

 

2.3. L’hydrogène-mobilité

La mobilité engendre 30% des émissions de gaz à effet de serre. 

L’application de l’hydrogène à la mobilité peut suivre deux voies, par ailleurs hybridables. La première est celle du moteur à combustion interne utilisant le dihydrogène comme carburant. La BMW Hydrogen 7 (2006) est la première voiture de série de ce type. Cette voie ne semble pas être privilégiée actuellement par les acteurs industriels (7).

La seconde voie est celle de la PAC (qui peut être combinée avec d’autres sources d’énergie), et c’est celle empruntée dans le cadre d’un grand nombre d’applications : 

  • Aéronautique : le transport aérien nuit le plus à l’environnement. L’hydrogène peut contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de ce secteur, et plusieurs projets existent pour développer un avion de transport fonctionnant entièrement ou en partie (systèmes annexes) à l’hydrogène.
  • Drones : des projets existent pour augmenter l’autonomie des drones via des PAC.
  • Voiture volante : des projets de voitures volantes à hydrogène existent.
  • Transport sur eau : des bateaux à hydrogène opérationnels existent déjà, et de nombreux nouveaux projets de navires sont en cours de développement. Signalons aussi les deux bateaux de promotion de l’économie-hydrogène fonctionnant à l’hydrogène, le Energy Observer, soutenu par le Gouvernement français et le Race for Water, financé par un entrepreneur suisse. Le Energy Observer est soutenu par Toyota et doit arriver à temps à Tokyo pour les Jeux Olympiques de 2020.
  • Sous-marin : le sous-marin militaire HDW Type 212 fonctionne à l’hydrogène.
  • Train : Alstom a mis sur le marché le premier train à hydrogène, destiné au voyage régional en remplacement des locomotives à diesel. Il a été lancé en Allemagne il y a environ un an.
  • Autobus urbains : Des modèles d’autobus urbains à hydrogène existent sur le marché.
  • Autocar : Flixmobility développe actuellement un autocar à hydrogène avec Freudenberg Sealing Technologies.
  • Camion : Plusieurs modèles ont été ou s’apprêtent à être commercialisés en 2019, en particulier ceux de Hyundai, Kenworth/Toyota, et la startup Nikola.
  • Véhicules de manutention : le secteur de la logistique est en train d’être conquis par des modèles de gerbeurs, transpalettes et chariots élévateurs fonctionnant à l’hydrogène. Amazon a notamment fait l’acquisition du fabricant de PAC Plug Power.
  • Voiture : Les trois constructeurs les plus actifs sont Toyota, Hyundai et Honda. Les taxis Hype sont des modèls Mirai construits par Toyota. D’autres constructeurs se livrent à des tests. Des modèles hybrides existent aussi : l’entreprise Symbio propose ainsi des kits hydrogène pour prolonger l’autonomie des véhicules à batterie électrique.
  • Vélocipède : Pragma Industries commercialise des vélos à hydrogène. 

 

2.4. Etc.

Toujours à partir du principe de la PAC, l’hydrogène à basse pression peut suffire pour alimenter avec un niveau d’autonomie élevé de petits appareils électriques tels qu’un smartphone.

Enfin, l’hydrogène vert peut être injecté dans le réseau de gaz naturel, permettant aux industriels consommateurs d’hydrogène de réduire leur bilan carbone.

 

Conclusion

Notre panorama de l’hydrogène suggère que les nouvelles applications de l’hydrogène, et la production d’hydrogène vert suscitent un engouement certain, notamment dans des pays comme le Japon, la Chine ou l’Allemagne. Les entreprises françaises se montrent également très innovantes dans ce domaine. Quoique sans doute moins présent dans les esprits que les nouvelles batteries électriques, l’hydrogène a le potentiel technologique pour jouer un rôle central dans la transition énergétique.

 

(1) Les estimations varient entre 50 et 70 M kT.

(2) Les formules qui caractérisent les deux principales réactions impliquées dans le vaporeformage du méthane sont les suivantes : 

CH4 + H2O → CO + 3H2
CO + H2O → CO2 + H2
Sachant que la masse molaire du CO2 est de 44,01 g/mol, et celle du H2 de 2,01588 g/mol, la différence de masse correspond à un facteur de 5,47 environ. Le facteur de dix utilisé ci-dessus intègre d’autres émissions liées au processus industriel.

(3) Sans compter la production à partir de houille, à l’origine de l’expression usine à gaz. La dernière usine à gaz en France a fermé en 1971.

(4) Notons qu’il existe aussi des projets alternatifs de production d’hydrogène zéro émission à partir d’hydrocarbures (pyrolyse de méthane, injection d’oxygène dans des sables bitumineux…).

(5) Le spatial est le secteur pour lequel les applications modernes de l’hydrogène, notamment énergétiques, ont été développées et industrialisées en premier au cours des années 1960 et 1970. C’est aussi, jusqu’ici, le seul secteur capable de supporter les coûts d’exploitation élevés de ce vecteur d’énergie.

(6) Il existe de nombreux types de PAC. Parmi les plus exotiques : la PAC à base d’urine et de nano-poudre d’aluminium, issue de la recherche militaire américaine.

(7) D’ailleurs plus personne ne se souvient de la Hydrogen 7.