Google Trends indique un intérêt croissant pour la requête « Chief Innovation Officer » à partir de 2010. Le terme a été inventé et décrit par Miller et Morris en 1998, mais ce n’est que depuis quatre ou cinq ans qu’il fait l’objet d’une attention grandissante. Alors que la fonction des Directeurs Innovation est de plus en plus stratégique, les spécifications de cette fonction varient selon les entreprises. Sa description n’en est encore qu’à ses débuts. Dans ce qui suit, nous allons voir pourquoi le périmètre du Directeur Innovation devrait défini par la notion de nouveaux territoires. Pas plus. Pas moins.
Cet article est basé sur notre livre Innovation Intelligence (2015), écrit après avoir interrogé des dizaines de directeurs de l’innovation et autres cadres dirigeants au sein de grandes entreprises.
Le Directeur Innovation : un rôle qui n’en est qu’à ses débuts
Le défi pour les grandes entreprises est d’être agiles malgré leur taille. Une grande entreprise est conçue pour avoir le meilleur P&L. Elle est par conséquent très performante pour réaliser des innovations incrémentales. Cependant, la plupart du temps, elle est nulle en matière d’innovation disruptive. Le rôle du CINO (Directeur Innovation) est de redéfinir ce qui est possible pour l’entreprise.La tâche du CINO est de stimuler l’innovation dans toute l’entreprise, à travers les silos, à travers les fonctions, à travers les business units, à travers les zones géographiques, et peut-être au-delà des frontières traditionnelles de l’entreprise. En fin de compte, le CINO doit veiller à ce que l’innovation fournisse des résultats pour le business. Parce que la fonction CINO est encore émergente et que tous les secteurs, entreprises et pays sont différents, nous ne prétendons pas fournir ici un aperçu complet et détaillé de toutes les fonctions d’un Directeur Innovation. Ce qui suit ne doit pas être pris comme la vérité absolue sur ce qu’un CINO devrait faire dans une entreprise, mais plutôt comme une base commune pour définir le rôle du CINO dans la plupart des entreprises matures:
Rôle # 1 – Un objectif business : le but du CINO est d’identifier les menaces perturbatrices et les opportunités basées sur les tendances émergentes. L’innovation est orientée vers le business, de même que le CINO. Le CINO garantit que les initiatives d’innovation sont conçues en vue de créer de la valeur économique pour l’entreprise. Un projet d’innovation ne doit pas être entrepris juste parce qu’il est à la mode (nanotechnologies, drones, impression 3D, et ainsi de suite). Pour veiller à ce que l’innovation soit concentrée sur le business, le CINO est chargé de définir les indices permettant de suivre la performance en matière d’innovation.
Rôle # 2 – définir le langage et changer la culture : la première fonction du CINO est de développer une culture de l’innovation dans l’entreprise. Pour être en mesure de créer une telle culture, la première clé est le langage. Un langage commun pour l’innovation doit être défini à travers l’ensemble de l’entreprise. Un langage commun est essentiel, car il empêche les conflits potentiels, par exemple la question suivante venant de la part d’un employé “Quel est le rôle du CINO? Nous avons déjà un CTO”. En outre, une fois qu’il y a accord sur la définition de l’innovation (entendue comme innovation disruptive), la détermination des indices d’évaluation de la performance devient plus facile. L’innovation au sein du coeur de métier est généralement une question d’exécution des processus standards de l’entreprise, et des mesures adéquates existent déjà pour mesurer son rendement. Au contraire, l’évaluation de la performance de l’innovation disruptive, même si elle est orientée business, ne peut pas être faite à partir d’indicateurs traditionnels. Une fois que le langage commun a été établi, une autre tâche du CINO est la communication. Par communication, nous entendons à la fois la communication interne et externe. La communication interne façonne la culture de l’entreprise. Elle est le seul moyen de rendre les membres des silos conscients du fait que l’innovation peut se produire partout dans l’entreprise. La communication externe peut être un moyen de développer l’esprit d’innovation de l’entreprise d’une manière telle qu’elle attire des talents créatifs et des partenaires venus d’horizons éloignés du cœur de métier.
Rôle # 3 – organiser et exploiter l’intelligence axée sur l’innovation: en se basant sur une veille axée sur l’innovation, la CINO détermine la stratégie d’innovation de l’entreprise et gère de manière offensive le portefeuille d’innovation. La connaissance est la clé principale du CINO. Le problème est que la connaissance encyclopédique n’est plus possible. Le bon vieux temps de l’Âge des Lumières est révolu. Proliférante et dispersée, la connaissance représente un réel défi pour les CINOs. Un défi non résolu, car le volume d’information est énorme, et car cette information n’est pas seulement technologique, mais plutôt commence par les rêves inexprimés des gens. La création d’une synthèse intégrée des connaissances requises est le défi-clé du CINO. Et pourtant, le CINO doit également anticiper et construire une vision stratégique à long terme pour l’entreprise. En outre, sur la base de la connaissance et de la vision, le CINO doit prendre des mesures.
La veille (intelligence) n’est pas une nouvelle tâche. Toutes les entreprises ont des équipes dédiées à l’observation de la technologie, l’analyse du marché, l’analyse des tendances, et ainsi de suite. Le principal problème avec l’approche actuelle est que les entreprises traditionnelles sont construites dans des silos, et ces tâches individuelles de renseignement sont effectuées par différentes équipes qui communiquent peu entre elles. De plus, les personnes qui effectuent ces tâches ne peuvent pas avoir une bonne compréhension de ce qui compte vraiment pour l’entreprise. Plus important encore, ces tâches ne sont pas synchronisées, coordonnées ou synthétisées de manière à être concentrées sur l’innovation. L’innovation axée sur le renseignement doit se préoccuper à la fois des connaissances établies sur les technologies, les marchés et les tendances et des nouvelles connaissances générées par le CINO qui consacre la majeure partie de ses actions à la transformation d’hypothèses en connaissances. Vous voulez en savoir plus sur l’intelligence axée sur l’innovation? Envoyez-moi un email!
Rôle # 4 – favoriser la génération d’idées et l’expérimentation rapide: les idées doivent être testées au moyen d’expérimentations rapides à petite échelle, qui permettent de convertir les hypothèses en connaissances, tant sur le plan technique que commercial. Les Directeurs Innovation ne sont pas eux-mêmes responsables de la génération d’idées, mais ils sont en charge de la mise en place d’un environnement qui favorise la sélection des idées et l’expérimentation rapide. Un tel environnement comprend le lieu physique, mais aussi les personnes, les outils et les ressources (voir nos prochains articles sur les Innovation Labs). L’environnement de l’innovation au sein d’une entreprise ne dépend pas seulement des processus et des outils, mais aussi, et peut-être surtout sur des gens. Par conséquent, le CINO doit cultiver les bons talents. L’équipe d’un CINO tend à devenir de plus en plus multidisciplinaire au fil du temps, en intégrant non seulement les ingénieurs mais aussi les gens du marketing, les concepteurs et les sociologues, entre autres. La gestion de l’apprentissage est essentielle. Les indicateurs pour évaluer la performance du chef de l’innovation devraient refléter cette notion de création de nouvelles connaissances. Qu’est-ce que l’organisation a appris? Comment? Combien? À quelle vitesse? De combien l’incertitude initiale a-t-elle été réduite? Voilà le genre de questions qui devraient être posées à propos de la performance d’un CINO.
Rôle # 5 – combler le fossé entre les innovateurs et le reste de la société : il s’agit là de l’une des parties les plus difficiles du processus d’innovation. De nouveaux territoires sont explorés par le CINO, en se basant d’une part sur une veille axée sur l’innovation, d’autre part sur l’idéation et l’expérimentation. Dès qu’une nouvelle opportunité de business viable est identifiée (le CINO ayant transformé des hypothèses en connaissances), et que sa réalisabilité technologique et la désidérabilité pour les utilisateurs sont prouvées, le projet doit être transféré vers une business unit. La question est alors de savoir comment transférer. La réponse n’est pas évidente. Le projet doit-il être porté par une business unit existante? Faut-il créer une business unit ad hoc? Faut-il essaimer? Le choix de l’approche dépend de la situation.
Le Directeur Innovation : multidisciplinaire et plus proche du PDG
Diverses études montrent que la fonction innovation monte en niveau hiérarchique, et qu’elle se rapproche de la stratégie.
Tendance # 1: de quelques uns à plusieurs milliers de CINOs. Au début des années 2000, il y avait quelques dizaines de CINOs dans le monde. Il y en a probablement des milliers aujourd’hui, au début de 2016. L’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation, dirigé par Marc Giget, a mené une vaste enquête sur plus de cinq cents CINOs dans le monde afin d’acquérir une compréhension de la façon dont la fonction a évolué au cours des récentes années. Actuellement, la moitié des grandes entreprises interrogées ont mis en place une fonction de CINO. Le rôle du CINO n’est pas encore uniforme dans les entreprises et demeure en évolution.
Tendance # 2: le CINO et son équipe sont de plus en plus transversaux. La tendance générale que nous avons observé est que le rôle du Directeur Innovation est de plus en plus multidisciplinaire. Les équipes des Directeur Innovation sont des échantillons de leurs entreprises. Elles sont en passe de devenir des échantillons du monde.
Tendance # 3: le CINO se rapproche du PDG. La proximité avec le PDG permet au CINO d’adopter une approche holistique à travers l’organisation. Pour être efficace, le CINO a besoin de l’appui net et d’un mandat clair de la part du PDG. Parce que le rôle du CINO est d’explorer de nouveaux territoires, il ou elle doit être en mesure de faire valoir son action face aux silos et aux modalités établies des business.
Le Directeur Innovation : un mouton à cinq pattes?
Parce que la plupart des PDG traditionnels ne peuvent pas assumer la fonction d’un chef de l’innovation, le CINO, muni du mandat octroyé par le PDG, est une personne qui peut appliquer plusieurs compétences à un large éventail de connaissances, des connaissances non seulement technologiques, mais également commerciale, financières, et ainsi de suite. Le CINO idéal saura solliciter les contributions des autres, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. Le CINO est convaincu que l’innovation est une nécessité. Il ou elle croit en l’innovation et n’a pas d’aversion au risque. Le CINO n’est pas nécessairement une personne créative ou un innovateur. Bien que de nombreux CINOs aient un biais technologique (même si une proportion croissante de CINOs vient désormais du numérique, de la gestion et de la stratégie), le CINO idéal combine des traits qui sont très rarement réunis dans une seule personne:
Trait # 1 – La compréhension de l’entreprise: le CINO a une bonne compréhension de l’entreprise, ce qui lui permet de combiner à long terme la planification stratégique et des opérations tactiques à court terme. Le CINO doit avoir une compréhension approfondie de la position concurrentielle de l’entreprise.
Trait # 2 – La sagesse technologique: le CINO doit avoir un niveau suffisant de compréhension des technologies comme catalyseurs de nouveaux produits et services. Bien que non nécessairement un spécialiste, il ou elle devrait être en mesure d’écouter et de d’argumenter face à des techniciens.
Trait # 3 – Le leadership en matière de communication. Le CINO doit bâtir des passerelles entre les cadres dirigeants à la vitesse de la lumière. Le CINO n’est pas le seul leader, mais il est en mesure d’embarquer avec lui d’autres fonctions et de les inviter à contribuer en interne à la fertilisation croisée. Même si le CINO est un leader né et un génie en communication, cette tâche peut exiger le soutien du PDG.
Trait # 4 – Une expérimentation centrée sur le client. Les innovations doivent être testées le plus rapidement possible sur les utilisateurs ou les clients. Le CINO a donc un goût prononcé pour l’expérimentation. Il devrait avoir une empathie naturelle pour les problèmes des utilisateurs finaux et être en mesure de concentrer le dispositif d’expérimentation sur ce point.
Trait # 5 – Une aptitude à connecter de petits mondes. Le CINO doit être en mesure de survoler des domaines de connaissances disparates. Pour ce faire, il doit disposer d’un important réseau actif composé de petits mondes, et être en mesure d’en relier les points.
Steve Jobs avait probablement toutes ces qualités, mais il était par ailleurs difficile de travailler avec lui.
Que devrait être le rôle du CINO selon vous?
Calls for Expertise & Innovation Contests
Inject on-demand expertise into industrial innovation projects to accelerate decision making and overcome technical and scientific obstacles
Very rich article. To use a marine metaphor, I would say the CINO is like a multihead probe: he coordinates a network of multibeam bathymetric sonars as some of the frigates of the fleet are sent to explore unchartered waters, and sends the synthesis of its findings throughout the company.
Only the CEO/Admiral of the fleet can give the order to explore the ecosystem fringes where disruptive innovation is likely to come from. And he would delegate command to his CINO for him to coordinate this exploratory taskforce with the values of the company permanently in mind . That is to say without loosing sight of the « Why » the company exists, what is its main purpose. And this is how he would gain new meaningful and profitable territories.
Article très riche et intéressant sur une fonction en plein développement qui montre qu’enfin les entreprises prennent la mesure des changements liés aux nouveaux possibles.
La fonction CINO telle que définie aujourd’hui reste cependant dans une logique organisationnelle très classique (structure pyramidale, silos, baronnies, égocentrismes, menant parfois droit dans le mur !) et je vois des CINOS qui disent « s’épuiser » à vouloir changer les choses, à proposer et vendre des initiatives qui finalement rentrent dans le « funnel » développement produit classique et finit par « mourir » parce que pas portée par les métiers. L’innovation bouscule, fait peur, prend un peu trop de lumière aux autres acteurs qui, du coup, n’achètent pas l’idée. Et le mandat clair et fort du PDG n’y fait parfois pas grand chose même s’il facilite la mise en oeuvre.
Pour aller au-delà de ces logiques classiques et permettre au CINO et à toute l’entreprise d’aller de l’avant, il me semble qu’il faut commencer par innover sur le plan managérial et l’organisation de ces grands groupes. Pour filer la métaphore du commentaire précédent (merci Bruno !), je pense qu’il faut passer du navire amiral type porte avion à une escadrille agile et coordonnée vers un même objectif, beaucoup plus résiliente et responsable. Le « Why » est clé, certes, mais les objectifs et le cap peuvent changer à tout moment, vers un océan bleu, c’est alors le « Who » qui devient prépondérant, permettant d’assurer à la fois le cohérence d’une flotte composée de frégates et son agilité. C’est ce que montre Jim Collins dans son excellent bouquin « Good to Great » que je recommande vivement.