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Nous sommes le 16 novembre 2016, il est 13h53, et je suis au 9ème étage du siège d’EDF avenue de Wagram. Je contemple les toits de Paris depuis le Petit Salon, dans lequel j’attends Philippe Torrion avec qui je m’apprête à avoir une conversation passionnante.

Philippe Torrion est Directeur Stratégie et Innovation et membre du COMEX d’EDF. Depuis le début de l’année j’ai donné plusieurs conférences chez EDF. Ma prochaine intervention pour la maison EDF sera le 24 novembre à Disneyland Paris, dans le cadre de l’Innovation@Work qui vise à former 500 top managers d’EDF. Pour préparer cette prochaine conférence, Philippe a accepté de répondre à mes questions. Petite synthèse.

La dérégulation n’a pas encore engendré de véritables innovations

La première tendance disruptive dans le domaine de l’énergie électrique en France est tout d’abord liée à la dérégulation, i.e. à l’ouverture du marché à la concurrence. Et ce n’est pas la concurrence elle-même qui est le problème : c’est tout d’abord une grande difficulté à transformer la culture – voire le mindset.

Historiquement, EDF était un monopole. Qui dit monopole dit pas de concurrence, ce qui n’empêchait nullement EDF d’innover. Mais c’était une innovation axée sur la technique, et moins sur le client. Cette culture technopush n’est plus de mise dans le contexte actuel.

Autre difficulté liée à la dérégulation : le stress financier généré par la baisse des prix de marché très en-dessous des coûts complets de production.  Historiquement, EDF était protégée contre cette volatilité des prix grâce aux Tarifs Régulés de Vente (aujourd’hui réservés aux particuliers et petits professionnels).

Cela pose la question de la pérennité de l’entreprise. Comment rester vivant ?

Paradoxalement, la dérégulation n’a pas apporté de véritables innovations, me confie Philippe Torrion. Toute la concurrence se fait encore sur les prix, l’électricité étant une commodité.

Malgré ce constat sévère, je sens que la maison EDF fourmille de nombreuses initiatives locales qui petit à petit transforment l’entreprise.

L’autoproduction n’est pas la panacée… pour la France

La seconde tendance disruptive est l’autoproduction d’électricité, en particulier par le photovoltaïque. Chez EDF, on ne semble pas croire au 100% énergie renouvelable. Il semble que le futur sera plutôt fait d’un mix nucléaire – énergies renouvelables ; avec la condition d’être capable de faire un nucléaire compétitif.

Le fait est qu’il y a plus de photovoltaïque en Allemagne qu’en France (40GW vs 6GW), même s’il y a moins de soleil là-bas ! Cela vient du fait que l’Allemagne subventionne très fortement ses installations (plus de 20 milliards d’euros par an de subventions aux énergies renouvelables).

En ce qui concerne le photovoltaïque en France, cela peut être rentable d’investir en tant que particulier dans cette technologie pendant qu’elle est subventionnée. À terme, il devrait être rentable d’investir dans du photovoltaïque pour l’autoconsomation. L’autoconsommation sera rentable avant la revente sur le marché de l’électricité autoproduite, car elle permet d’économiser la part “transport” et la part “taxe” de la facture. La revente, quant à elle, ne permet de rétribuer que la part “fourniture” (la facture d’un particulier étant grosso modo 1/3 – 1/3 – 1/3).

Les GAFAs, encore marginaux, sont sous surveillance

NEST: Barbare de l’énergie. En 2014, Google a fait l’acquisition de Nest Labs, une entreprise d’environ 200 personnes qui fabrique des thermostats connectés, pour 3,2 milliards de dollars. Ce fut alors la panique dans les états major d’un certain nombre de grands groupes dans le domaine de l’énergie. Pourquoi Google a-t-il fait cette acquisition? En fait, Google implémente la stratégie habituelle des barbares du numérique: capturer la relation client grâce à un cheval de Troie. Dans le cas présent, le cheval de Troie est un produit sympa couplé à des services gratuits et payants pour optimiser sa consommation d’énergie. Une fois la relation client, autrefois détenue par les énergéticiens, capturée par Google, les acteurs historiques se retrouvent au rang de commodité, alors que Google en profite au passage pour aussi pomper une grande partie de la valeur dans la chaine de la valeur.

La troisième tendance disruptive est bien entendu la digitalisation. Philippe Torrion m’explique que même si les initiatives de ce que j’appelle les Barbares du numérique (GAFAs, NATUs etc.) sont encore marginales, il existe bel et bien des risques importants liés à ceux-ci et EDF les surveille de près. EDF a d’ailleurs quelques initiatives dans ce domaine (ex. : Sowee ou avec Netatmo).

Quand je vois des initiatives telles que le rachat de NEST par Google (voir ci-dessous), ou bien les annonces récentes de la fusion entre deux des entreprises dont Elon Musk est CEO, Tesla et Solar City, qui permettra de se diriger vers de véritables PVIB (Photovoltaic Integrated Building) ; quand je vois ces initiatives, je ne peux pas croire que ces initiatives resteront marginales très longtemps.

EDF : se transformer pour survivre

Ces mutations (la dérégulation, l’autoproduction et la digitalisation), malgré tout, viennent bousculer EDF. La grande question, comment échapper à la commoditisation, exacerbée par les Barbares du numérique ? Comment survivre ? Trois dimensions sont considérées par la maison :

L’Open Innovation, notamment à travers quelques outils tels qu’ElectraNova Capital, le fond d’investissement corporate, et un incubateur interne, est une approche qui permet à EDF d’avoir des antennes dans le monde extérieur afin de sentir les tendances et de les embrasser.

Par ailleurs, EDF essaie de passer d’une culture historique très orientée vers les technologies à une culture orientée vers le client. Une transformation nécessaire dans l’environnement actuel.

Enfin, la mise en place d’une organisation ambidextre semble être un des chantiers actuels majeurs. En effet, Philippe est en train de créer une direction innovation afin de gérer les innovations de rupture. Malgré les nombreuses initiatives locales qu’EDF a mis en place localement, la direction innovation au niveau COMEX est un dispositif qui faisait défaut jusqu’alors, et ce sera bientôt chose faite. Les choses bougent !